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Il fut convenu qu’elle retournerait sur-le-champ à Saint-Nazaire, accompagnée par le serviteur de Robert, discret et dévoué comme peut l’être un serviteur vendéen. Quant au héros de la Pénissière, il regagnerait le lendemain, au lever du jour, son premier asile ; il était facile d’attribuer sa sortie furtive à quelque secrète affaire de parti. Saint-Nazaire était un lieu sûr. Le duc de Tessé était en trop bonne odeur auprès du gouvernement nouveau pour qu’on osât envoyer chez lui les commissaires et les gendarmes, même dans le cas où l’on se douterait que sa maison abritât quelque soldat de Madame ; et ce cas, du reste, n’était pas à craindre, car les gens d’André, presque tous Vendéens, étaient plus royalistes que leur maître. Robert resterait donc sous le toit hospitalier où la fortune l’avait conduit jusqu’à guérison complète de sa blessure. — De laquelle ? dit-il en souriant à Élisabeth, quand elle prononça ces derniers mots. Il en est une dont vous savez bien que je ne serai jamais guéri.

Il voulut, avant qu’elle quittât cette chambre, qui, disait-il, devait être imprégnée d’elle comme le gant ou le bouquet qu’elle avait porté, lui faire entendre de ces paroles qu’on prononce une seule fois dans sa vie. — Écoutez, fit-il à voix basse, je veux vous dire des choses que je ne puisse plus jamais adresser à une autre femme. Je suis à vous. Tenez, sentez mon ame dans ces baisers que je mets sur vos mains, sentez-la dans mon accent quand je vous dis : Je vous aime et vous aime ! Il me semble qu’avec ces mots toute ma vie s’échappe de mon sein. Je le voudrais, car je crois bien que j’ai eu cette nuit tout le bonheur qui m’était destiné en ce monde. Ah ! Lisbeth, chère Lisbeth, dites-moi qu’après cette vision tout ne sera plus pour moi tristesse et ténèbres ! Hélas ! vous êtes là, et tout à l’heure vous n’y serez plus ; mais vous ne m’oublierez pas, n’est-ce pas ? Ma mère, vous qui me l’avez envoyée dans ce lieu même où je vous ai dit adieu, oh ! je vous en prie, faites qu’elle m’aime !


VIII

Le 15 juillet est la Saint-Henri ; Montceny voulut célébrer ce jour-là par une fête. Il était de retour en Vendée depuis une semaine : l’héritage qu’il avait été chercher à Paris était différé, la mort lui avait rendu sa grand’tante ; mais il était assez riche pour donner un bal en l’honneur de ses rois, et, quoiqu’il ne fût point prodigue, il aimait encore mieux payer avec de l’or qu’avec du sang ses fantaisies légitimistes. Le moment n’était pas très bien choisi, il est vrai, pour des réjouissances. Madame était persécutée, la Vendée abattue. Montceny dit à la duchesse de Tessé en l’invitant : « J’ai voulu suivre la vieille tradition française, mêler le bruit des violons à celui de la mousqueterie,