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Nous venons de parler de M. Molé, de M. Dupin, de M. de Broglie ; nous avons aussi prononcé le nom de M. Guizot. Il y a dans le monde des malicieux qui, sachant le goût que nous avons pour réunir dans le même faisceau les grands noms et les grandes influences, se disent sans doute, en nous lisant, que nous aurions bien grande envie en ce moment de faire aussi l’éloge de M. Thiers, mais que nous sommes embarrassés, parce que le discours que M. Thiers a fait sur l’affaire de la Plata est complètement contraire à l’opinion que nous avons exprimée sur cette question. Ces malicieux, nous le craignons, n’ont pas compris que le discours de M. Thiers est plus important que la question qu’il traitait et plus élevé que sa conclusion. M. Thiers, avec cette hauteur et cette étendue de vues qui caractérise l’homme d’état, a traité la question des intérêts de notre commerce et de notre civilisation dans l’Amérique du Sud, vaste question toute générale, où la Plata a sa place, mais n’a que sa place. Aussi consentons-nous de grand cœur à voir le gouvernement ne pas suivre les conseils de M. Thiers dans l’affaire de la Plata, à condition que le discours de l’orateur deviendra le manuel de notre diplomatie dans toute l’Amérique du Sud. Ces discours-là, quoi qu’on en dise, sont des actions, car ils dirigent et règlent l’action des gouvernemens intelligens.

La question des intérêts commerciaux de la France dans l’Amérique du Sud, est le seul point, à nos yeux, qui mérite désormais un examen sérieux dans l’affaire, de la Plata ; le reste, à parler franchement, nous touche peu. Nous ne croyons pas, et jamais nous n’avons pu croire l’honneur de la France fortement engagé dans cette guerre sauvage, que des passions locales ont allumée entre Montevideo et la République Argentine ; mais il nous importe beaucoup de savoir, en effet, si l’Amérique du Sud, si les rives de la Plata peuvent offrir à la France cette vie nouvelle qu’elle cherche depuis si long-temps pour sa navigation marchande, frappée de décadence malgré tant d’efforts faits pour la ranimer. Est-il permis d’espérer que notre navigation marchande, le principal élément de notre puissance maritime, retrouvera dans ces nouveaux parages le rang qu’elle a perdu ailleurs ? Le doute n’est pas possible, quand on écoute M. Thiers ; car M. Thiers est convaincu, et il exprime sa conviction de manière à la faire passer dans les esprits.

Quiconque a regardé les états de douanes sait jusqu’à quel point notre commerce maritime a baissé sur toutes les mers. Pendant que nos exportations ont doublé, le mouvement de notre navigation commerciale a diminué de plus en plus, et notre pavillon marchand a été remplacé par ceux de l’Angleterre et des États-Unis. Lorsque nous avons supprimé, sous la restauration, la surtaxe qui protégeait notre pavillon, nous avons fait peut-être un acte de loyauté et de désintéressement ; mais, ce jour-là, nous avons signé de nos propres mains notre déchéance maritime. Favorisées par des circonstances particulières, l’Angleterre et l’Amérique du Nord nous ont promptement dépassés. L’Angleterre s’est emparée du transport de la houille ; l’Amérique du Nord s’est emparée du transport des cotons. Comment lutter à présent contre ces deux faits ? Pouvons-nous rétablir la surtaxe du pavillon ? Personne ne le proposerait aujourd’hui. Est-ce le régime de la protection qui nous tue, et faut-il, pour nous sauver, supprimer tous nos tarifs ? Personne n’y songe précisément. Cependant le mal