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chercher qu’un enseignement salutaire, il cherche une arme contre les opinions qui le blessent, contre les principes qu’il veut combattre. Un tel procédé ne va pas à moins qu’à dénaturer complètement le caractère de l’histoire. Le récit du passé, écrit d’une main sévère, tracé avec impartialité, peut fournir des armes à tous les partis ; mais ce n’est pas à l’historien qu’il appartient de transformer en arsenal le souvenir des générations évanouies.

Les passions politiques n’ont rien à démêler avec l’histoire. La comprendre ainsi, c’est renverser la définition donnée par Quintilien, c’est dire que l’histoire s’écrit non pour raconter, mais pour prouver. Cette méthode, si toutefois il est permis de décorer d’un tel nom une telle aberration, peut séduire les esprits passionnés, pour qui la lutte vaut mieux que la science ; elle ne saurait être approuvée par ceux qui mettent la vérité au-dessus des partis, et le nombre en est encore assez grand malgré toutes les commotions qui ont bouleversé la France depuis soixante ans. M. Michelet, dont la loyauté est à l’abri de toute atteinte, dont l’âme, pénétrée de convictions généreuses, éclate à chaque page, mais qui prend volontiers une image pour une idée, un rapprochement ingénieux pour une maxime applicable au gouvernement des nations, excitera chez les esprits mêlés aux luttes politiques de vives sympathies, et peut-être aussi des haines non moins vives, dont je n’ai pas à me préoccuper. Si je ne partage pas toutes ses espérances, si je ne puis m’empêcher de sourire en voyant combien sa longue familiarité avec le moyen-âge l’a rendu étranger aux idées dont se compose notre vie de chaque jour, je rends pleine justice à la moralité des principes qui lui servent de guides. Je crois qu’il aime, qu’il veut sincèrement le bien. S’il se trompe sur la route à suivre pour toucher le but, il n’y a pas là de quoi éveiller notre colère. Je comprends très bien qu’on n’accepte pas son avis, qu’on ne résolve pas comme lui les questions posées depuis la convocation des états-généraux ; mais je ne comprends pas qu’on le maudisse, qu’on le voue à la haine publique, car je crois qu’il est de bonne foi dans son erreur.

À force d’user ses yeux sur les chroniques du moyen-âge, il est arrivé à l’éblouissement. De l’éblouissement à l’extase, il n’y a qu’un pas, et M. Michelet l’a franchi. L’étude poursuivie dans les conditions normales de l’intelligence, la méditation contenue entre des limites nettement définies, sont à ses yeux une application mesquine des facultés humaines. Il dédaigne les procédés ordinaires à l’aide desquels la pensée germe, grandit, se développe. Il ne conçoit pas la clairvoyance sans exaltation. Et, pour lui, l’exaltation naît de l’excès même du travail. Il n’a pas mesuré les forces de son esprit, il en abuse ; sa vue se trouble, son esprit perd la notion du monde réel et se laisse emporter dans les régions apocalyptiques. C’est là, selon moi, la seule manière d’expliquer