d’analyser ses travaux scientifiques, comme si Marat avait sa place marquée entre Lagrange et Laplace. Les extraits qu’il nous donne sont curieux sans doute ; mais ces extraits, qui dans un travail purement littéraire éveilleraient l’attention, jetés au milieu d’une narration historique, n’excitent que l’impatience. Le lecteur qui prend au sérieux le récit commencé ne s’arrête pas volontiers en chemin. L’histoire est un genre trop sévère pour se prêter à toutes ces distractions. Les épisodes qui ne se relient pas étroitement au sujet principal doivent être répudiés sans pitié, et M. Michelet l’a trop souvent oublié.
Le nouvel historien de la révolution française a donc failli à sa mission. Notre inquiétude n’était que trop légitime. Malgré ses études si persévérantes, malgré ses travaux si nombreux, si variés, malgré trente années consumées dans la contemplation du passé, M. Michelet ne paraît pas comprendre bien nettement les devoirs de l’historien. Quand il raconte, et il raconte trop rarement, il cherche, il obtient des effets qui n’appartiennent pas au genre historique. Il se propose d’émouvoir à tout prix. Or, l’émotion qui ne naît pas de l’expression même de la vérité, qui a besoin, pour envahir l’âme du lecteur, de tous les artifices de l’imagination, doit être bannie sévèrement de l’histoire. Mais ce n’est pas là le seul reproche que nous puissions adresser à M. Michelet. Le récit proprement dit, simple, austère ou paré de couleurs poétiques, le récit en lui-même semble répugner à son intelligence. Le précepte de Quintilien s’est effacé de sa mémoire : « On écrit l’histoire, dit Quintilien, pour raconter et non pour prouver. » Ces paroles ont été, il y a quelques années, détournées de leur vrai sens ; on a voulu y voir un arrêt contre l’intervention de la philosophie politique dans le domaine de l’histoire, et cette pensée n’est jamais entrée dans l’esprit de Quintilien. Un écrivain habile, à l’abri de ces paroles ainsi interprétées, a transcrit ou paraphrasé Froissart, et il s’est rencontré des lecteurs complaisans qui ont pris son œuvre pour une œuvre d’histoire ; mais, ramenées à leur vrai sens, rapprochées des modèles d’après lesquels Quintilien rédigeait ses préceptes, elles renferment la vraie définition de l’histoire. La narration est le but principal ; le jugement des faits est-il interdit à l’historien ? Comment le croire ? comment oser prêter à Quintilien un si étrange paradoxe ? La manière dont il apprécie les historiens d’Athènes et de Rome ne permet pas de lui imputer une pareille hérésie. Raconter sans juger, c’est n’accomplir que la moitié de la tâche imposée à l’historien ; mais le récit forme, à coup sûr, la première partie de cette tâche. Or, M. Michelet, dans son Histoire de la Révolution, néglige trop souvent le récit pour l’argumentation, pour le pamphlet. Il ne se contente pas d’indiquer dans le passé les événemens qui contiennent une leçon pour le présent, il ne se borne pas à signaler les termes de comparaison ; là où il devrait ne