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tenue dans de certaines limites, ne manquerait pas de justesse, puisque la rue a parfois imposé sa volonté aux orateurs les plus résolus, il la poursuit avec une obstination qui va jusqu’à l’aveuglement. Le peuple, dans sa pensée, a droit à une réparation ; il a été dépouillé de sa part légitime d’action par les historiens de la révolution française ; il est temps de lui rendre ce qu’ils lui ont ravi. Et, pour accomplir cette réparation, il fait de la tribune la très humble servante de la foule.

Il est difficile de suivre dans le récit de M. Michelet les travaux de l’assemblée. Les détails anecdotiques se multiplient, se pressent à chaque page ; mais l’histoire proprement dite, l’analyse des idées soumises à la discussion, le tableau des passions qui ont entravé le développement de ces idées, la nature et la portée des principes demeurés victorieux, sont presque toujours oubliés. En revanche, si l’histoire est absente, le roman occupe le premier plan. Oui, l’auteur a trouvé moyen d’introduire le roman dans le récit de la révolution. La fuite à Varennes et le retour à Paris de la famille royale sont traités par lui comme un vrai chapitre de roman. Il sait tout, non pas seulement ce qui a été vu, ce qui a été raconté par les acteurs, par les témoins, mais bien aussi et surtout les plus secrètes pensées, les sentimens les plus intimes de chaque personnage. Il lit dans le cœur de Marie-Antoinette et de Barnave, comme le poète dans le cœur des héros créés par sa fantaisie. Il prête à la reine, au jeune avocat, toutes ses émotions, tous ses souvenirs ; le lecteur ignorant peut croire à chaque instant qu’un aveu passionné va s’échapper de leurs lèvres.

L’entrevue de Mirabeau et de Marie-Antoinette est racontée comme le retour de Varennes. Les salons de Mme  Roland, de Mme  Condorcet, sont peints d’une façon attrayante, j’en conviens ; mais les pages que l’auteur consacre à ces deux femmes éminentes peuvent être considérées comme de véritables hors-d’œuvre. Ces deux chapitres, qui plairaient sans doute dans un roman, ne sont pas traités avec assez de sobriété pour trouver leur place dans une composition historique. Quelle que soit l’importance de ces deux salons, il était inutile de prodiguer les détails, comme l’a fait M. Michelet. Le portrait de Vergniaud donne lieu aux mêmes remarques. Sans doute, il n’est pas hors de propos de nous peindre la physionomie de Vergniaud, de nous le montrer comme pourrait le faire le pinceau ; mais à quoi bon nous parler de Mlle  Candeille, de sa passion pour Vergniaud, et du succès de la Belle Fermière ? Mlle  Candeille a-t-elle joué un rôle dans la révolution ? A-t-elle déterminé ou modifié la conduite de Vergniaud ? Quant au portrait de Marat, M. Michelet lui a donné des proportions que rien ne justifie. Au lieu de se borner à nous présenter Marat sur la scène politique, il a écrit sur cet homme étrange une véritable notice biographique. Il prend la peine de nous raconter ses premières années, son éducation,