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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.


que l’effet de la mise en scène, on peut louer le talent de l’écrivain, vanter l’artifice avec lequel il a disposé ses personnages ; mais, de bonne foi, un pareil succès, de pareils éloges ont-ils de quoi tenter la conscience de l’historien ? Le spectacle de la monarchie et de la religion au moyen-âge et dans les temps modernes, depuis saint Louis jusqu’à Mirabeau, tel que nous le présente M. Michelet, n’est qu’une pure fantasmagorie. On dirait que l’auteur s’est proposé pour but unique, non pas d’instruire, mais d’effrayer le lecteur.

M. Michelet a déjà terminé l’histoire de l’assemblée constituante, c’est-à-dire la partie la plus sereine, la plus imposante de la révolution française. L’histoire de l’assemblée législative, de la convention et du directoire est peut-être, aux yeux de bien des lecteurs, plus féconde en émotions ; mais la grandeur des principes posés par l’assemblée constituante, les passions généreuses qui agitaient presque tous les cœurs, donnent à cette première assemblée un caractère auguste et majestueux qu’on ne retrouve ni dans la législative, ni dans la convention. L’auteur a compris toute la richesse du sujet qu’il avait à traiter, et je dois dire qu’il en a tracé plusieurs épisodes avec un incontestable talent. Il a surtout rendu avec une verve entraînante l’élan généreux qui couvrit la France entière de fédérations. Il y a dans le tableau de cette union fraternelle de toutes les pensées une sève, une abondance, un enthousiasme sincère, qui pénètrent le lecteur d’admiration et d’attendrissement. L’auteur est moins heureux dans la peinture des clubs, qui jouèrent sans doute un rôle immense dans la révolution, mais dont il a cependant trouvé moyen, le croirait-on ? d’exagérer l’importance. Dans son ardeur de tout saisir, de tout embrasser, il arrive à perdre de vue les idées générales qui dominaient alors, à leur insu, les esprits en apparence les plus indépendans, les caractères les plus spontanés. Ici, comme dans le tableau du moyen-âge, la pensée de M. Michelet se divise, s’émiette, s’éparpille à l’infini ; en agrandissant le rôle des masses, il amoindrit tellement le rôle des acteurs principaux qui ont souvent obéi à la foule, qui plus souvent encore lui ont commandé, que l’attention ne sait plus où se fixer. Le désir de rendre à la multitude l’importance qui lui appartient l’entraîne parfois à d’étranges injustices ; il se plaît à transformer les acteurs en instrumens, comme si une idée, pour être généreuse, une résolution, pour être héroïque, devait nécessairement venir de la foule et perdait sa grandeur en prenant le nom d’un homme. Pour les esprits impartiaux, le but que s’est proposé M. Michelet ne saurait être douteux ; il a voulu dépouiller de leur éclat, de leur prestige, les grandes figures que nous sommes habitués à regarder comme les maîtres de la multitude ; il a voulu mettre dans la rue, dans la rue seule, toute la puissance qui était à la tribune. Cette idée, qui, con-