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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.


Ainsi les antécédens de M. Michelet ne semblaient pas le préparer à l’étude et au récit de la révolution française ; il avait sur tous ceux qui ont entrepris jusqu’ici cette tâche difficile un incontestable avantage, la connaissance complète de la vie politique, de la France depuis la conquête des Gaules par la race germanique jusqu’à la convocation des états-généraux. Il n’était pas exposé, comme la plupart de ses prédécesseurs, à parler du passé d’après de vagues souvenirs, à mentionner l’âge de la monarchie comme une chose incertaine et confuse, à l’appeler, comme l’a fait plus d’une fois le plus illustre, le plus populaire de ses devanciers, tantôt la monarchie de quatorze siècles, tantôt la monarchie de dix siècles ; car il sait année par année et presque jour par jour tous les événemens accomplis depuis Clovis jusqu’à Louis XVI. À coup sûr, la pleine possession d’un savoir si laborieusement acquis promettait au lecteur des explications précieuses sur les origines lointaines des faits qui se sont produits dans les dernières années du XVIIIe siècle. Malheureusement l’étude vigilante de notre histoire tout entière, comme je crois l’avoir démontré, a exercé sur M. Michelet une action singulière, qui tient plus de l’éblouissement que de la vraie science. L’habitude constante de chercher partout des symboles, de personnifier toute une série d’événemens dans une idée préconçue, d’interpréter tout homme et toute chose de façon à renfermer dans cette idée tous les accidens de la vie réelle, trouble en lui le sens historique. Sa prédilection pour Dante et pour Shakspeare ; très louable assurément s’il ne s’agissait que de chercher dans les œuvres de ces deux puissans génies un terme de comparaison pour estimer à leur juste valeur les œuvres littéraires de notre pays, l’empêche trop souvent de juger les hommes et les faits en eux-mêmes. Il est impossible, en effet, de raconter et de juger nettement quand on s’efforce constamment de retrouver dans les oppresseurs ou dans les opprimés les personnages de Shakespeare ou de la Divine Comédie. Cette perpétuelle intrusion de souvenirs poétiques dans le domaine de l’histoire s’oppose formellement à la clarté du récit.

Si les six volumes déjà publiés par M. Michelet sur notre pays n’avaient pas suffisamment prouvé ce que j’avance, il ne serait plus permis de conserver le moindre doute à cet égard après avoir lu l’introduction placée en tête de son nouveau livre. En effet, cette introduction, qui prétend résumer en quelques pages tout le passé de la monarchie, n’offre au lecteur aucune idée qui soit l’expression exacte des faits. L’auteur a divisé son travail en deux parties : partie religieuse, partie politique. On devait croire que cette division servirait à l’élucidation de la pensée, et pourtant il n’en est rien. Ce prétendu résumé n’est, à proprement parler, qu’une longue déclamation où le talent ne fait pas défaut, où l’on trouve même çà et là plus d’une page éloquente, mais