qu’un amas tumultueux d’idées vraies en elles-mêmes pour la plupart, et qui, faute d’être ordonnées, perdent la moitié au moins de leur valeur et de leur évidence. De Hugues Capet à la mort de Charles VI, M. Michelet se montre à nous tel que nous l’avons vu pendant toute la durée des deux premières races. Les réformes administratives de Philippe-Auguste, la lutte de Philippe-le-Bel et de Boniface VIII, la vie mystique et militaire, les travaux législatifs de Louis IX, enfin le tableau désastreux de la France pendant la longue démence de Charles VI, sont présentés avec la même abondance d’érudition, et, je dois le dire, avec aussi peu de profit pour le lecteur. Tout en demeurant convaincus que l’auteur n’a rien négligé pour s’informer des faits qu’il a entrepris de raconter, nous regrettons sincèrement qu’il garde pour lui la meilleure partie des trésors entassés dans sa mémoire. Le récit du règne de Charles VII révèle dans le talent de M. Michelet un progrès manifeste ; c’est assurément la partie la plus vivante, la plus vraie, la plus nette, de ce long travail commencé depuis seize ans. Il est impossible de ne pas admirer, de lire sans émotion, sans attendrissement, toutes les pages qui racontent la vie et la mort de Jeanne d’Arc. L’auteur a eu sous les yeux toutes les pièces du hideux procès qui a tranché si cruellement cette vie héroïque et sainte ; il a puisé à toutes les sources pour réunir les élémens de la vérité, et, cette fois, je suis heureux de le dire, l’art vient en aide à l’érudition : les faits recueillis laborieusement dans les monumens originaux se déroulent avec rapidité sous les yeux du lecteur. Et pourtant, dans le récit même de la vie de Jeanne d’Arc, combien de fois M. Michelet ne se laisse-t-il pas emporter par ses instincts mystiques bien au-delà des limites de l’histoire ! Combien de fois ne cède-t-il pas au puéril plaisir de multiplier les rapprochemens imprévus ! Il me suffira de rappeler la comparaison si obstinément poursuivie du Christ et de Jeanne d’Arc. Dans la pensée de M. Michelet, Jeanne d’Arc n’est pas seulement une créature douée au plus haut peint de toutes les vertus évangéliques : c’est le Christ même, le Christ transfiguré, non plus pour quitter la terre et remonter au ciel, mais pour quitter le ciel et redescendre sur la terre. Une telle comparaison, on le comprend sans peine, n’ajoute rien à la vérité du récit. Toutes ces images, tirées du Nouveau Testament, bien qu’il s’agisse de la vie d’une sainte, ne servent qu’à embarrasser le tableau de la France au XVe siècle ; parfois même ces images, en se multipliant, finissent par donner un caractère légendaire aux détails les plus réels, les plus précis. Cependant, malgré ces taches faciles à effacer, le règne de Charles VII peut être cité comme un des modèles les plus heureux de narration historique, comme un de ceux qui réunissent sous la forme la plus vive l’imagination et la science. Le règne de Louis XI, j’ai regret à le dire, n’a pas tenu toutes les promesses du
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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.