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pas nécessaire de réfléchir long-temps ; il suffit de se rappeler le caractère distinctif des œuvres que nous venons d’énumérer, et si à cette liste déjà si nombreuse nous ajoutons les Origines du droit français et les Mémoires de Luther, l’évidence devient encore plus lumineuse. Oui, sans doute, M. Michelet a rendu accessibles à toutes les intelligences les principes féconds de la Science nouvelle, qui sans lui peut-être fussent demeurés le partage exclusif d’un petit nombre d’érudits. Il a résumé, interprété avec une lucidité merveilleuse les principaux événemens accomplis en Europe depuis la prise de Constantinople par Mahomet II jusqu’à la convocation des états-généraux à Versailles ; mais la manière toute mystique dont il a expliqué les origines du droit français, la forme légendaire qu’il a donnée aux principaux événemens du moyen-âge, ses commentaires confus sur la réforme religieuse du XVIe siècle, ne révèlent pas chez lui une grande aptitude à comprendre, à expliquer, à peindre, à raconter les combats livrés depuis la mort de Louis XV jusqu’à la chute de Napoléon. Parlerai-je de son livre sur le Prêtre et la Famille, de son livre sur le Peuple, où ses instincts mystiques n’éclatent pas avec moins d’évidence ? à quoi bon ? Ces deux livres ne sont-ils pas les corollaires naturels, inévitables des précédens ouvrages de l’auteur ? Pouvait-on croire que M. Michelet ne porterait pas dans la philosophie morale, dans la philosophie politique les habitudes de son esprit, que nous connaissions depuis long-temps ? Eût-il été raisonnable d’espérer qu’en abandonnant le domaine des faits pour le domaine des idées, il se transformerait tout à coup et prendrait des habitudes nouvelles ; qu’il trouverait pour la déduction et l’expression de ses pensées une méthode plus rigoureuse, plus logique, plus claire ; qu’il renoncerait à la fantaisie, à l’extase pour s’en tenir à la démonstration de la vérité ? Assurément non ; il serait donc absolument inutile de nous arrêter à caractériser ces deux livres. Pour déterminer nettement jusqu’à quel point M. Michelet réunit les facultés nécessaires à l’historien de la révolution française, il nous suffit d’étudier avec attention et d’apprécier avec sincérité son Histoire de la république romaine et son Histoire de la France au moyen-âge. C’est là, en effet, qu’il a donné pleine carrière à ses instincts ; c’est là qu’on peut prendre la mesure précise de son talent pour la narration.

Or, que signifie son Histoire de la République romaine ? À quoi se réduit ce livre trop applaudi il y a dix-huit ans, et aujourd’hui trop oublié ? N’est-ce pas tout simplement un hommage rendu aux travaux de Niebuhr ? Quoique l’historien français contredise, sur plusieurs points de détails, l’érudit allemand, quoiqu’il résolve à sa manière plusieurs questions déjà posées, déjà résolues par Niebuhr, n’est-il pas manifeste que l’historien français procède de l’érudit allemand comme l’effet procède de la cause ? Il est vrai que Niebuhr, à son tour, procède