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huit avirons s’enfonçaient en cadence dans l’eau. Pendant quelques minutes, je fus ainsi le but que se disputaient les deux pavillons anglais et mexicain. Bientôt je vis blanchir l’écume à la proue des deux chaloupes rivales ; puis, sous une rafale de vent que Dieu sans doute envoyait pour moi, je vis l’anglaise suspendre ses avirons, s’incliner sous la voile et fendre l’eau plus rapidement encore.

Hurrah for England ! s’écria l’ex-alcade : les voici toutes les deux à distance égale. Ah ! ces Anglais… ces Anglais ! Je leur en ai bien voulu jadis, mais je les ai toujours admirés.

Les deux embarcations étaient assez près de moi pour que je pusse distinguer ceux qui les montaient. La figure du pilote mexicain était rouge de colère et de désappointement ; puis j’entendis la mer bruire le long des flancs des deux bâtimens ; que le vent s’apaisât d’un souffle, et j’étais perdu. À bord de la chaloupe anglaise, j’apercevais distinctement, la main sur les tire-veilles de la barre, mais à moitié dressé sur ses jarrets reployés, un jeune midshipman blond et rosé qui me cria de sa voix enfantine :

— Ne mollissez pas, by God ! si ces chiens arrivent avant vous, éventrez-les à coups de gaffe, le pavillon anglais vous protégera.

— Oui-dà ! s’écria l’ancien magistrat, voyez-vous comme au sortir de nourrice ces Anglais ont déjà des idées commerciales ? Si je dois vous dire vrai, c’était l’idée que j’avais aussi.

La voile anglaise tomba au pied de son mât, les dix avirons s’enfoncèrent dans la mer, l’embarcation bondit en avant, et s’arrêta frémissante bord à bord avec la mienne. En un clin d’œil, les lingots furent transbordés, et le matelot français et moi, nous sautions à bord de la chaloupe libératrice ; je rendis grace à Dieu. Au même instant, la douane mexicaine rebroussait chemin dans un désappointement amer, mais silencieux. Je trouvai, à bord de la corvette, sir ***, sa longue-vue encore à la main. — Avouez, me dit-il, qu’il est heureux pour vous que cet instrument soit si parfait ; vous y gagnez cent vingt mille francs, et moi, ma foi, une commission de plus. Maintenant, s’il vous plaît, nous irons déjeuner.

À la place du capitaine de la corvette anglaise, supposez un officier français : la confiscation des lingots eût été inévitable ; une respectable maison de commerce eût été ruinée, mais l’honneur de l’officier français eût été sauf. Pour lui, il est vrai, tout se fût borné à cette satisfaction d’amour-propre, dont les Anglais ne croient pas devoir se contenter. Ont-ils tort ? En vérité, nous ne le croyons pas, et l’histoire de cette campagne du Collingwood, en nous montrant un jeune lieutenant fidèle, à travers toutes les péripéties d’un long voyage, au culte de l’intérêt national, cette histoire ne doit pas être perdue pour