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flotte la bannière de Saint-George. Arrêtons-nous ici avec le jeune lieutenant.

Ces huttes, asile des chefs mécontens ou hostiles, s’élèvent dans une spacieuse vallée où un ruisseau promène lentement ses eaux paisibles. Des rochers perpendiculaires, qui semblent de loin une gigantesque estacade, entourent et protègent la vallée. Des forêts couronnent ces hauteurs et se balancent comme de gigantesques éventails au souffle de la brise. Un étroit passage, à peine frayé et caché parmi les lianes, conduit à ce mystérieux abri. L’officier anglais y pénètre. Toutes les cabanes de cette vallée recèlent, à l’en croire, autant de mécontens prêts à s’insurger contre la France. Les huttes de bambous où s’abritent ces intrépides conspirateurs sont construites sur le centre d’une plate-forme de pierres plus large que la hutte elle-même. À travers les interstices des murs, la brise circule à l’aise, et le courant d’air qu’elle produit entretient une fraîcheur délicieuse dans l’intérieur des cabanes.

Le chef de ce hameau taïtien reçoit avec distinction les officiers du Collingwood ; c’est un homme aux formes athlétiques, à la longue chevelure et à l’œil étincelant ; sa femme, la belle Paaway, autrefois dame d’honneur de la reine Pomaré, échange avec les marins une poignée de main britannique. Tandis que les étrangers ôtent une portion de leurs vêtemens pour se conformer aux usages du pays, plusieurs indigènes entrent dans la hutte du chef, prennent place avec autant de gravité que de silence, et bientôt le dialogue politique commence par les mots sacramentels : Jaoraby-ve, paroles de bienvenue que les Taïtiens tiennent en réserve pour tous les Anglais que le hasard leur fait rencontrer. Les insulaires s’informent avidement des dispositions de la reine Victoria à leur égard, et, sur une réponse peu consolante des visiteurs, les questionneurs froncent le sourcil d’abord ; mais des explications bienveillantes les ont bientôt rassurés. Pourtant la curiosité des Taïtiens ne laisse pas d’embarrasser quelque peu les Anglais. Ceux-ci, pour expliquer l’attitude de l’Angleterre, sont forcés de mettre en avant la signature qu’avait donnée Pomaré pour mettre son royaume sous la protection de la France. À ces mots, la belle Paaway tressaille d’étonnement et disculpe avec éloquence la reine de Taïti

— C’est l’œuvre des missionnaires français, dit-elle ; ce fut l’un d’eux qui guida sa main et de fait signa pour elle. La reine était souffrante ; elle était en mal d’enfant, et sa volonté ne lui appartenait plus. J’étais là, ajoute l’ex-dame d’honneur. Tous ceux qui l’aimaient lui conseillaient de combattre, de se confier à son bon droit, à l’Angleterre et à Dieu. — « Paaway avait fait mieux que de donner de stériles conseils, remarque M. Walpole ; elle avait combattu contre la France, et ses doigts effilés avaient fourni des cartouches à ses compatriotes dans le feu de la bataille. »