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les conquérans espagnols, la décadence future de leur conquête. Des deux Pizarre, l’un passe vingt années en prison et meurt dans la misère et le chagrin ; l’autre, l’orgueil de ses soldats, le premier au péril, le dernier à la retraite, est décapité à Cuzco. Almagro, le compagnon de Pizarre, est étranglé dans la même ville. Carvajal, le plus impitoyable d’eux tous, a une fin plus cruelle encore. Le fils d’Almagro meurt aussi de mort violente ; il n’est pas jusqu’au pilote qui découvrit le Pérou qui n’ait péri fusillé.

L’histoire a conservé le souvenir de peu d’états aussi riches, mieux organisés que les pays gouvernés par les Incas. Sous cette administration bienfaisante, tous les habitans travaillaient, mais dans la proportion de leurs force ; tous payaient l’impôt, mais un impôt proportionné aux moyens de chacun. Une profession était assignée à chaque sujet ; s’il ne pouvait s’élever, du moins ne pouvait-il pas tomber. En vain la nouvelle république du Pérou a-t-elle proclamé l’indépendance des Indiens, les Indiens ne semblent pas s’en réjouir. Les Incas leur avaient appris, et les Indiens n’ont pas oublié cette leçon, qu’il vaut mieux obéir à un maître qu’à plusieurs, qu’un gouvernement bien assis est préférable à l’anarchie, et meilleur surtout que des intermittences de servitude et de liberté. La race indienne n’a pas oublié non plus ses anciens maîtres ; son respect pour leur mémoire ne s’est pas altéré, et trois cents ans écoulés depuis la ruine de cet empire ne l’empêchent pas de croire au rétablissement des maîtres qui lui avaient donné le bonheur. Des ruines imposantes contribuent à entretenir cette illusion. Les Indiens ne conçoivent pas que ce qui a été puissant jadis ne puisse retrouver un jour sa force évanouie, et, tout en murmurant quelques prières du rite chrétien, le descendant des Incas s’incline encore devant les débris du temple du soleil, car il voit toujours au haut du ciel l’astre ardent et splendide qu’adoraient ses pères. Ce temple du soleil est l’un des plus curieux monumens du Pérou ; il existe encore à quelques lieues de Lima, dans le grand désert de Pachacamac. Le monument s’élève sur une colline de sable qui domine la mer ; il n’est lui-même qu’un énorme monceau de terre en forme de pyramide à trois plans, revêtu à l’extérieur de briques séchées au soleil et recouvert d’un ciment rouge dont il reste encore de larges plaques. Autour de la base du temple s’ouvrent des espèces de cryptes qui gardent à l’intérieur des traces de peinture grossière. La masse du monument et sa situation surtout portent dans l’ame une impression de triste solennité.

Chose rare dans l’Amérique espagnole, des omnibus transportent les voyageurs du Callao à Lima en dépit de routes exécrables. La tournure moresque des maisons de la capitale du Pérou, les clochers qui la dominent comme des minarets, lui donnent un aspect plus oriental qu’à