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en quelque sorte au vol du navire ? Ces heures de contemplation et de rêverie qu’on passe, appuyé sur les lisses du bâtiment, à regarder une terre où l’on n’abordera pas, sont quelquefois les plus agréables du voyage. Le spectacle qui se déroule aux yeux du passager change, pour ainsi dire, à chaque sillage nouveau tracé sur l’océan, à chaque caprice du vent, qui dissipe ou épaissit la brume marine. Tantôt c’est un écueil inhospitalier dont les roches aiguës s’élèvent, comme une barrière submergée, du sein des flots, tantôt une côte onduleuse qui s’allonge à l’horizon comme un serpent d’azur. Là c’est une île aux flancs escarpés, le long desquels se balancent des réseaux de lianes semblables aux filets oubliés des pêcheurs. Ici de nombreux clochers, un môle couvert de spectateurs curieux, annoncent une antique cité maritime qu’on ne fera qu’entrevoir. Parfois aussi on n’aperçoit qu’un nuage, une ligne de vapeur : ce point, à peine perceptible, est pourtant un grand pays, un continent peut-être, et, à propos de cette terre presque invisible, un vieux matelot vous racontera, dans sa langue naïve, toute une série de légendes, tandis que vous respirerez avec délices le parfum des feuillages lointains jeté par une folle brise au milieu des âcres senteurs de la mer. On comprend ce que peut être un livre écrit sous des impressions si diverses : une sorte de sketch-book, où l’ordre et la symétrie se feront désirer sans doute, mais où l’intérêt ne saurait manquer, et où ceux qui n’ont pas vu la mer, comme ceux qui la connaissent, sont également sûrs de trouver d’instructifs et attrayans récits.

Un officier de la marine anglaise a essayé d’écrire ce livre. Aux heures de loisir que lui laissait la discipline, l’honorable lieutenant Frédéric Walpole a noté les souvenirs d’un long voyage maritime avec un abandon qui frise un peu la négligence, mais qui, après tout, n’en atteste que mieux la sincérité du narrateur. À quelques égards, le décousu de ce livre est presque un charme de plus. Ces brusques déplacemens, ces changemens à vue multipliés, nous initient aux vicissitudes, aux péripéties innombrables d’un voyage dont la marche est soumise à l’inflexible joug des instructions militaires. Courbé sous cette dure loi, M. Walpole est plus d’une fois contraint de marcher quand il veut se reposer, et de rester à bord, sa longue-vue à la main, quand il voudrait descendre à terre. De là bien des contrastes, bien des contrariétés aussi ; mais après tout on finit par se plaire à ces surprises, et, une fois qu’on a commencé la lecture du journal de M. Walpole, on devient soi-même l’esclave soumis de cette discipline qui mène si rudement son navire. Çà et là d’ailleurs on recueille des observations précieuses, on peut saisir dans toute sa spontanéité ce sentiment national toujours si vivace chez un voyageur anglais, et il n’est pas inutile de savoir, par exemple, ce qu’un lieutenant de la marine britannique pense des rares possessions françaises qu’il rencontre sur