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royaume orgueilleux ! Et tu pleures tes fils, et tu ne trouves personne qui veuille te consoler ! Tes anciens amis te trahissent et te repoussent ; tes chefs, tes guerriers, chassés comme un troupeau, traversent la terre sans s’arrêter et sans trouver de bercail ! Nos églises et nos autels sont livrés à l’ennemi ; le glaive se dresse devant nous ; la misère nous attend au dehors, et cependant le Seigneur dit : « Allez, allez toujours ! — Mais où irons-nous, Seigneur ? — Allez mourir, ceux qui doivent mourir ; allez souffrir, ceux qui doivent souffrir ! »

Skarga prédit la résurrection de la Pologne après avoir annoncé sa ruine. La ruine date déjà de loin, et pourtant le jour mystique, le jour de la réparation, le troisième jour n’est point encore venu. Il semble reculer à mesure que les gémissemens des populations l’appellent plus ardemment. La Pologne porte la peine de ses fautes ; les générations d’à-présent subissent le contre-coup ordinaire des erreurs du passé. Avec ses lois funestes et son esprit indiscipliné, la Pologne devait fatalement succomber. C’est la raison que Skarga assigne à la décadence de sa patrie. « Vous servirez vos ennemis dans la faim, dans la soif, dans la nécessité, dans la pauvreté, leur avait-il dit, par la raison que vous n’avez pas voulu servir le Dieu de vos pères dans la joie et dans l’abondance, et qu’au sein de votre bonheur vous avez méprisé votre souverain, votre prêtre, vos lois et vos magistrats, en vous retranchant derrière vos libertés infernales ! Ne craignez pas la guerre ni les invasions ; vous périrez par vos discordes intérieures ! » C’est sans doute parce que ces discordes n’ont point encore entièrement cessé, c’est parce que le goût de ces infernales libertés n’est point encore perdu, c’est parce que la Pologne n’est point encore suffisamment corrigée de son penchant séculaire à l’indiscipline, qu’elle n’entrevoit pas le moment précis où doit finir sa longue et douloureuse expiation.

Injuste serait toutefois quiconque méconnaîtrait le progrès que les idées de pouvoir et d’autorité, naguère inconnues en Pologne, ont fait au milieu même des divergences d’opinion produites par les révolutions récentes. Si, au commencement de la guerre de Hongrie, il y a eu de la part des généraux polonais une ardeur trop prompte qui ne s’accordait point avec la politique des diplomates, ils ont fini cependant les uns et les autres par se rencontrer dans un même sentiment sur la question capitale, c’est-à-dire sur le slavisme. Dembinski et Bem principalement avaient d’abord paru faire trop bon marché de cette théorie. Une fois sur le champ de bataille, en présence de l’idée slave, ils en ont reconnu à la fois l’équité, la puissance et l’essor. Au contact de ces valeureuses et intelligentes populations de la Bohême, de la Servie, de la Croatie, des pays slovaques, la Pologne militante a senti que de ce côté sont la jeunesse et la vie. Elle s’est convaincue de cette