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plan de concentration proposé par Dembinski quand l’armée magyare était encore libre de choisir son champ de bataille, et modifié en vue des circonstances, qui avaient si promptement changé. Messaros rencontra sur la route de Pesth à Comorn des estafettes de Georgey qui annonçaient que les communications étaient coupées. Le général en chef revint sur Pesth, où les populations émues prirent bientôt l’alarme. Elles accoururent devant l’hôtel où résidait Dembinski avec des cris de désespoir. « Sauvez-nous, disaient-elles, vous seul pouvez nous sauver ! » Dembinski parut, et, faisant allusion à Georgey et aux Russes, il dit à la foule qui tendait vers lui des mains suppliantes : « Je ne puis plus vous sauver, car j’ai un ennemi devant moi et un ennemi derrière. » Le gouvernement se retira en désordre à Szegedin, sur la Theiss, comme frappé d’une terreur panique.

L’inaction cependant n’était plus possible, et le général polonais s’efforça d’oublier ses tristes pressentimens ; il rassembla, de concert avec Messaros, tout ce qui restait de troupes disponibles en dehors de l’armée de Georgey, de la forteresse de Comorn et du corps de Bem. Georgey avait annoncé qu’il visait à se dégager, pour opérer par le nord une retraite vers la Transylvanie. Dembinski voulait encore tenter, en se retirant vers le banat de Temesvar, de se réunir à Georgey et à Bem, et de prolonger la lutte dans les montagnes du midi. Au fond, il n’y avait plus dès-lors, sur le théâtre de la guerre, personne qui crût au salut de la Hongrie.

Je me trompe : il était des esprits généreux qui avaient encore quelque confiance dans la fortune des Magyars, alors que ceux-ci désespéraient d’eux-mêmes. C’étaient les diplomates polonais, auxquels s’étaient joints quelques Valaques des principautés du Danube, au nom de toute la race roumaine. Les uns et les autres pensaient qu’en présence de l’intervention russe, et de l’effroi qu’elle devait causer à tous les peuples de l’Europe orientale, le drapeau de la conciliation entre les nationalités, arboré enfin par les Magyars, aurait la puissance de faire sortir du sol une nouvelle armée au dedans et au dehors de la Hongrie. On le voit, la confiance des Polonais et des Valaques était conditionnelle ; mais le temps pressait, ils marchaient avec ardeur à leur but, comptant que l’effet du péril lui-même aiderait leurs suprêmes efforts.

Le prince Czartoryski, sans cesser d’être fidèle à la politique qu’il avait embrassée plusieurs années avant la guerre, pressa ses agens d’entretenir le gouvernement magyar de la nécessité plus urgente que, jamais d’une transaction entre les nationalités. Si la Hongrie devait succomber, suivant les diplomates polonais, ce serait toujours un gain pour l’avenir que de l’avoir amenée à reconnaître l’équité des griefs de ses sujets insurgés. Dans leur défaite même, les Magyars auraient la