Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et tu espérais m’y prendre, mauvais brigand ! reprit le taupier avec emportement.

— Faut que quelqu’un se dévoue, objecta le rouleur d’un accent convaincu.

— Que le diable me brûle si c’est moi ! s’écria Jean-Marie ; ah ! tu voulais me faire manger de la mort pour avoir ensuite part à toi seul ? Hors d’ici, vagabond ! j’aime encore mieux ma peau que ton trésor.

— A ta fantaisie, dit le rouleur, qui savait sans doute que le plus mauvais moyen de ramener un homme en colère était de lui donner des raisons.

Et il rechargea sa hotte avec une sorte d’indifférence, prit son bâton et se dirigea vers la porte.

Jean-Marie, qui l’avait laissé faire en grommelant, le regarda sortir ; il parut hésiter un instant, puis finit par le suivre.

J’avais cessé de les voir, mais le bruit de leurs voix m’avertit bientôt que tous deux s’étaient arrêtés au-delà du seuil. Je fis inutilement un nouvel effort pour ouvrir la porte de communication. Ma curiosité était excitée outre mesure. Je ne pouvais douter que le taupier et Claude n’eussent repris la question du trésor, et, à tout prix, j’aurais voulu entendre le débat ; mais je prêtais en vain l’oreille : aucune parole ne parvenait jusqu’à moi. Je pouvais seulement reconnaître à la voix chaque interlocuteur, et préjuger par l’intonation ce qu’ils disaient.

Cette espèce d’interprétation, dans laquelle l’imagination avait la plus grande part, finit par m’absorber complètement. L’accent du taupier avait été d’abord presque menaçant, celui de Claude bref et absolu ; mais insensiblement le premier s’était adouci, et le second avait perdu sa cassante sécheresse. Maintenant le rouleur parlait longuement, du ton d’un homme qui veut persuader. Il avait sans doute trouvé quelque expédient qu’il s’efforçait de faire accepter. Le sourcier répondait de loin en loin, comme pour opposer des objections ; mais celles-ci devenaient à chaque instant plus rares et plus courtes. Claude gagnait certainement du terrain. J’écoutais sa voix, qui prenait des intonations toujours plus persuasives, et je supposais le plaidoyer que je ne pouvais entendre. Il entretenait son interlocuteur de la découverte du trésor, et évoquait, pour le séduire, un de ces rêves que chacun de nous tient caché dans les derniers replis de sa pensée. Il lui montrait peut-être la closerie transformée en ferme à deux charrues, l’enclos d’entrée devenu une aire bordée de grandes meules de froment, la haie du verger reculée de plusieurs vols de chapons. Il lui faisait entendre le meuglement des vaches revenant le long des sentes vertes,