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faudra le coup de balai du vent de six heures pour tout nettoyer là-haut.

— Eh bien ! mais, en attendant, s’écria l’avoué, qu’allons-nous devenir, nous autres ?

— Vous resterez sous mon pauvre toit, si ça ne vous fait pas affront, répliqua le taupier.

— Il n’y a jamais d’affront à être au sec, maître Jean ; seulement, je crains que nous ne soyons pour vous une grande gêne.

— J’ai à côté un lit de pèlerin, comme on dit : c’est un peu champêtre pour de grosses gens ; mais, faute de froment, les alouettes font leur nid dans l’avoine.

En parlant ainsi, il nous ouvrit une porte conduisant dans une petite pièce voisine, dont les murs lézardés disparaissaient sous un rideau de plantes potagères conservées pour graines, et dont les touffes desséchées flottaient çà et là, suspendues à des os de mouton fichés dans la muraille en guise de clous. Une huche à blé, deux barriques défoncées, un banc et un lit complétaient l’ameublement. Comme il n’y avait point à choisir, nous remerciâmes le taupier en déclarant que nous acceptions son hospitalité, et nous sortîmes pour visiter nos chevaux dans le petit hangar qui leur servait d’écurie. Jean-Marie les avait débridés et leur avait déjà apporté une partie de l’herbe coupée pour sa vache. Nous y joignîmes quelques poignées d’orge et deux bottes de paille pour litière ; des fagots dressés à l’une des ouvertures de la grange, du côté du vent, les mirent à l’abri.

Pendant que nous achevions ces préparatifs de campement, la nuit était venue. L’épais brouillard qui avait tout envahi ne laissait briller aucune étoile, la campagne apparaissait comme un abîme obscur, au milieu duquel des taches plus sombres indiquaient les bois. On n’entendait que le bruit monotone et presque imperceptible de la bruine sur les feuillages. Tout cet ensemble voilé et silencieux avait un caractère de tristesse pour ainsi dire harmonieuse. L’air était plein des âcres parfums qui s’exhalent de la terre humectée et des végétations meurtries par l’orage. Nous restâmes quelque temps appuyés à l’un des piliers de l’appentis, les regards plongés dans ces ténèbres, au fond desquelles on sentait encore la création. Jean-Marie vint enfin nous prévenir que le souper était servi. Le chaudronnier, qui avait terminé son travail, devait nous tenir compagnie, et nous nous mîmes tous à table dans les meilleures dispositions.

La vie réglée de notre vieille société nous condamne à courir, presque constamment, comme les wagons sur leur voie ferrée, et le moindre caprice est un déraillement qui a son danger. Aussi, lorsque le hasard vient nous enlever un instant aux ornières de l’habitude, trouvons-nous à cet imprévu toute la saveur de la nouveauté.