— Parbleu ! vous êtes le premier à qui j’entends faire un pareil aveu, reprit mon compagnon ; d’habitude, les rouleurs crient toujours misère.
Claude garda le silence.
Je lui demandai s’il ne trouvait pas bien rude de vivre ainsi, toujours errant par les routes solitaires, subissant tous les caprices du ciel et changeant d’hôte chaque soir.
— Quand on n’a personne nulle part, on est chez soi partout, répondit-il.
— Ainsi vous voyagez toujours ?
— Les pauvres gens sont obligés d’aller où il y a la pâture et le soleil.
— Mais quand vient la vieillesse ou la maladie ?
— On fait comme le loup : on se couche dans un coin, et on attend !
Les réponses de Claude avaient une brièveté pittoresque qui n’était point nouvelle pour moi ; j’avais déjà remarqué cette poétique originalité de langage sur nos montagnes, le long de nos dunes, dans nos forêts, en interrogeant les pâtres, les gardiens de signaux et les bûcherons. C’est un caractère commun à tous les hommes habitués à vivre dans la solitude, sans autres interlocuteurs qu’eux-mêmes. Il semble qu’alors leurs pensées, comme ces vagues recueillies dans les creux de nos rochers, se condensent lentement en cristaux. Leur parole, selon l’expression des matelots, apprend à naviguer au plus près et non sans profit ; car, si les frottemens qui naissent des relations sociales aiguisent l’intelligence et lui arrachent de fréquentes étincelles, ils servent rarement à la rendre plus nette ou plus vigoureuse. Notre improvisation de toutes les heures sème les idées à peine écloses comme ces fleurs stériles que le vent secoue des pommiers, tandis que le silence laisse aux idées du solitaire le temps de s’épanouir sur chaque rameau de l’esprit, d’où elles ne se détachent que parfaites et comme un fruit mûr.
Claude semblait être un de ces parleurs discrets qui n’ouvrent la bouche que pour dire quelque chose, et, bien que son langage ne fût point dépourvu d’une certaine prétention sentencieuse, il avait éveillé assez vivement notre intérêt pour nous donner le désir de prolonger la conversation. L’avoué la soutint quelque temps avec sa verve ordinaire ; mais le rouleur continua à répondre rigoureusement, sans fournir aucune occasion de la détourner vers le sujet dont nous désirions surtout l’entretenir. L’arrivée d’une voisine qui venait s’acquitter envers Claude et jeter quelques sous dans le chaudron posé près de lui offrit enfin à mon compagnon une transition inattendue.
— Est-ce là toute votre recette à Saint-Cosme ? demanda-t-il au rouleur.
Celui-ci répondit affirmativement.