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le jour où Vibraye était arrivé à Saint-Nazaire, Mme de Tessé avait disparu pour eux, et ils commençaient à être las de leur séjour en Vendée. Ils ne pouvaient point se décider pourtant à partir, car tous deux étaient attachés à Élisabeth par des liens qu’ils ne voulaient pas rompre. La duchesse était pour Penonceaux une de ces relations dont se compose le charme mondain. Il n’en avait jamais été très passionnément épris, la passion n’avait rien de commun avec sa nature ; mais il trouvait dans cette coquetterie, qu’il accusait, un trésor inestimable d’indulgence pour l’ambitieux babil de sa galanterie ; puis Mme de Tessé était encore pour lui ce qu’on appelle une maison, maison agréable, commode, riante, où le désoeuvrement et le plaisir parvenaient à s’accommoder. C’était une maison bien autrement précieuse pour Lanier. Le comte Théobald, fils d’un célèbre marchand de drap, mort dans un fauteuil de pair, en 1831, sans avoir pu déshabituer les Parisiens d’ajouter son nom à une espèce de drap particulièrement propre aux carricks des temps passés, le comte Théobald n’avait, comme bien on pense, qu’un désir, qu’une pensée, pénétrer dans ces hautes régions que la bourgeoisie de juillet voulut escalader avec ses pavés. Le duc de Tessé, en le présentant à sa femme, lui avait causé une joie qu’il avait long-temps portée écrite sur son front ; puis du bonheur de M. Dimanche, il avait essayé de passer à celui de don Juan, et, par cette loi qui rend très souvent sincère l’attachement des courtisans pour leur souverain, il s’était pris d’une assez sérieuse affection pour Élisabeth. Je lui rends cette justice, il fut amoureux de la duchesse. La boutique de Mlle Prévôt le vit souvent occupé à choisir des bouquets avec une véritable rêverie. Ce qui rendait Élisabeth douce envers Penonceaux la rendait clémente envers Lanier. Un moment vint cependant où Théobald trouva que ses bouquets et ses soupirs n’obtenaient pas tout ce qu’il avait rêvé depuis que rien ne paraissait plus impossible à son ambition. Avec une prudence et un bon sens rare chez les personnages de son espèce, une fois qu’ils se sont entêtés des gens de qualité, il accepta un rôle plus humble que celui auquel il avait d’abord aspiré. Il renonça aux attitudes passionnées et farouches qu’un soir seulement il avait tenté de prendre, et devint un de ces amoureux bien dressés, qui se rendent utiles dans tous les intérieurs, les plus élégans et les plus modestes. Il fut un des plus soumis desservans de cet amour domestique si commun dans nos salons, qui font à Paris ce que font les follets au Mogol, suivant La Fontaine, c’est-à-dire qui s’occupent des affaires du mari, servent tous les caprices de la femme, et même, au besoin, soulagent dans leur besogne les gens de la maison.

Penonceaux et Lanier vivaient en fort bonne intelligence, mais tous deux s’entendaient pour exercer sur la duchesse une sorte de surveillance. Ils ne prétendaient point à écarter d’elle les amoureux, seulement