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depuis quand les chrétiens dormaient ainsi au soleil, le long des berges, comme des lézards.

— Depuis qu’ils ne trouvent pas de lits de plume sur la grande route, répliqua le taupier.

— Maître Jean oublie que la grande route est la chambre à coucher des vagabonds, objecta mon guide.

— Monsieur l’avoué voit bien, au contraire, que c’est le rendez-vous des honnêtes gens, puisque c’est là que je le rencontre, répliqua le paysan.

Nous ne pûmes nous empêcher de rire.

— Tu es, à ce que je vois, en chemin pour affaires ?

— Et le bourgeois est à la cueillette des procès ? dit Jean-Marie, qui retourna la question, au lieu d’y répondre.

— Pourquoi non ? reprit gaiement l’avoué ; ne connais-tu point le proverbe :

Entre La Flèche et Alençon,
Plus de coquins que de chapons ?

Nous allons voir s’il ne se prépare point quelque grabuge du côté de la Motte-Robert ; mais toi, bon apôtre, où vas-tu ?

— A la ferme du gros François.

— Vers Saint-Cosme ?

— A peu près.

— Alors nous pouvons faire route ensemble.

— Si monsieur l’avoué trouve que je ne lui fais pas affront.

Jean-Marie s’était levé et se préparait à nous suivre. Je m’aperçus alors qu’il avait laissé tomber un petit sachet rempli de blé, que je lui rendis. Il le glissa au fond de son carnier, et nous dit que c’était un échantillon de froment pour le gros François.

— Ne serait-ce pas plutôt le grain qui sert à composer les mercuriales d’avenir ? demanda l’avoué en le regardant.

Le marchand de talismans sourit sans répondre.

— Vous saurez que c’est un des mille talens de maître Jean, continua mon compagnon ; il excelle à deviner ce que sera le prix du blé en consultant les grains de froment. J’ai été moi-même témoin par hasard de la confection d’une de ces mercuriales anticipées. On range pour cela sur la pierre du foyer, et devant un grand feu, douze grains de blé choisis par un homme qui a reçu le don, comme maître Jean. Ces grains représentent les douze mois de l’année, en commençant par celui de gauche, qui représente janvier. Lorsque le feu les a échauffés, les grains éclatent et sautent en avant ou en arrière. Dans le premier cas le prix du blé doit infailliblement s’élever, dans le second il doit descendre.