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à fouiller le mont Jallu. En 1735, M. le duc de Chevreuse autorisa de nouvelles recherches aussi infructueuses que les précédentes. Après ces deux échecs, il y eut un long répit. Un parchemin trouvé à Paris en 1825, dans les démolitions d’une vieille église, ramena l’attention sur l’ancienne motte d’Ygé. Il se forma une société par actions qui recommença à bouleverser la fallacieuse montagne et y engloutit son capital. Vers la même époque, les Anglais, qui avaient déjà réclamé au XVIIIe siècle le droit d’y faire des perquisitions, renouvelèrent leur demande par l’entremise de M. de Talleyrand, et adressèrent une pétition à la chambre des députés, qui passa à l’ordre du jour. Enfin le père d’une de nos comédiennes les mieux connues, M. Fay, subitement éclairé par les révélations d’une femme de chambre somnambule, acheta du propriétaire le droit de recommencer les fouilles. Les indications du sujet magnétisé étaient si précises, que les recherches eurent cette fois un résultat. Après des travaux qui lui coûtèrent une douzaine de mille francs, M. Fay découvrit cinq deniers et trois clous ! Plusieurs dames reprirent après lui son entreprise, et, parmi elles, une parente du plus fécond de nos romanciers, qui espérait retrouver au mont Jallu le trésor du père Grandet. Vinrent ensuite le général polonais Milkieski, Mmes Herpin, Hersant, et une nouvelle compagnie d’actionnaires. C’était cette dernière qui bouleversait en 1844 le mont fallu. Comme tous les chercheurs précédens, les nouveaux actionnaires avaient à leurs gages un magnétiseur et son sujet, dont les révélations servaient à diriger les fouilles des ouvriers.

Je demandai à mon compagnon de route si l’on avait quelque indication sur la nature des richesses enfouies au mont Jallu. — Les renseignemens varient, me répondit-il. On parle tantôt de trois tonnes - d’écus, tantôt de cinq coffres renfermant de l’orfèvrerie, tantôt enfin d’un Christ d’or de grandeur naturelle et des douze statues des apôtres ; mais cette dernière version provient évidemment de quelque antiquaire qui avait lu l’histoire de monseigneur d’Angenne, évêque du Mans. Il paraît que ce saint prélat enleva, en effet, à la cathédrale les disciples du Christ, figurés en argent massif, afin de les dérober aux pillages des protestans, et qu’il les cacha si bien qu’on ne put jamais les retrouver. Ses contemporains l’accusèrent même de se les être appropriés, ce qui fit dire, lorsqu’il assista à l’assemblée de Trente, qu’on avait au concile les douze apôtres, outre le Saint-Esprit. Du reste, on vous racontera toutes ces traditions au village de Saint-Cosme, qui est le campement de nos monney-diggers. Ce sont les seules qu’ils n’aient point oubliées, car là, comme partout, l’arithmétique a tué la légende. Les hommes sont restés aussi fous, mais leur folie calcule, au lieu de rêver.

Tout en parlant, nous étions arrivés au bas d’une côte où il fallut