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il a épuisé son cerveau, sa sueur et son sang, brûle pour l’atteindre la chaumière de l’absent, brise l’existence de l’abandonné, et périt misérablement au milieu de son triomphe, consumé par l’inguérissable fièvre de la satiété.

Et que l’on ne croie pas cette avidité particulière à certains temps ou à certaines races : nous la retrouvons toujours et partout. Si les païens ont la conquête de la toison d’or et du pommier des Hespérides., les hommes du Nord la découverte du sampo, talisman souverain qui procurait toutes les richesses, l’Orient ses anneaux magiques et ses lampes d’Aladin, les chrétiens ont eu la recherche du saint Graal, ce vase divin que le sang du Christ avait rendu fée, et qui assurait à son possesseur l’accomplissement de tous ses désirs. La science elle-même a entendu, dans ses retraites austères, les bourdonnemens de la mouche jaune de safran, et elle s’est oubliée, pendant plusieurs siècles, à la recherche du grand œuvre. Aussi loin que la tradition peut remonter enfin, nous trouvons cette soif de la richesse comme une maladie générale et héréditaire. C’est à elle qu’il faut attribuer la croyance populaire aux talismans et aux trésors.

Je faisais ces réflexions, tout en suivant la route de Mamers au Mans et me dirigeant vers le bourg de Saint-Cosme. Une butte située près de ce bourg, et connue dans l’histoire sous le nom de motte d’Ygé, avait été signalée depuis long-temps dans le pays comme renfermant d’immenses richesses. Les Anglais y avaient bâti, au XIIe siècle, une forteresse où ils avaient tenu garnison jusqu’au traité de Bretigny. Forcés alors de partir, ils avaient enfoui, dit-on, dans la colline les trésors dont ils n’osaient se charger et qu’ils espéraient reprendre à la prochaine guerre. Cette tradition avait provoqué à plusieurs reprises des recherches dans la motte d’Ygé, devenue mont Jallu. De nouvelles fouilles annoncées par les journaux en 1844 avaient éveillé ma curiosité, et j’étais parti avec le projet de voir une de ces chasses aux trésors. J’avais heureusement dans le Maine, pour me guider et m’instruire, un ami de nos plus charmans écrivains, esprit choisi, mais nonchalant, qui, pour s’éviter la fatigue de conquérir un nom, avait pris d’avance ses invalides dans une étude d’avoué. Il y suicidait tout doucement sa belle intelligence, sans autre distraction qu’un commerce de lettres assez suivi avec d’anciens compagnons qui riaient, comme lui, tout haut de la vie et s’en attristaient tout bas. Nous partîmes ensemble pour cette Californie du mont Jallu, dont il me fit l’historique en chemin.

Le premier indice du dépôt précieux avait été une plaque de cuivre trouvée à la tour de Londres et sur laquelle se lisaient ces mots : Thesaurus est in monte Salutis prope Comum. On en eut sans doute connaissance sous Louis XIII, car le régiment du Maine fut alors employé