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yeux existaient ou non, mais encore de décider si une portion quelconque du système nerveux, autre que le cerveau, pouvait devenir le siège d’une perception sensoriale.

Certes, si par le mot oeil on devait entendre un organe toujours le même et partout semblable à ce qu’on trouve chez l’homme ou les oiseaux, les annélides, les némertes, les planaires, les méduses, seraient des animaux aveugles ; mais, comme tous les appareils organiques, l’organe visuel peut se simplifier, se dégrader, sans changer pour cela de nature. Même dans cet état de dégradation il conserve ses parties fondamentales, et ces parties sont généralement faciles à reconnaître. Quoique destiné à remplir une fonction toute physiologique, l’œil est un véritable appareil de physique. C’est toujours une chambre obscure, dans laquelle une lentille convergente concentre la lumière et transporte l’image des objets extérieurs sur un écran placé à son foyer. Seulement ici la lentille, au lieu d’être formée d’une matière inerte, est organisée et s’appelle le cristallin. L’écran aussi est vivant ; il porte le nom de rétine, et c’est lui qui transmet au cerveau l’impression des images reçues. Quel que soit le plus ou le moins de complication d’un œil, ses parties fondamentales sont toujours un cristallin et une rétine. Réciproquement on doit considérer comme un œil véritable tout organe qui possède ces élémens caractéristiques, car il ne saurait remplir d’autres fonctions que celles dont nous venons de parler[1]. Pour décider la question générale soulevée par M. Ehrenberg, pour savoir si en effet l’organe visuel peut être ainsi transposé, s’il peut exister ailleurs que sur la tête, il fallait donc retrouver chez l’amphicora, ou chez tout autre animal présentant des faits analogues, les cristallins et les rétines de ces yeux, qui rendraient croyables les rêveries fouriéristes.

À cet égard, mes recherches furent long-temps infructueuses. Sur les côtes de la Manche et de la Sicile, je retrouvai bien des annélides voisines de l’amphicora, et portant à l’extrémité postérieure du corps les points colorés en question. Bien plus, dans quelques-unes des espèces que j’avais découvertes, ces points colorés s’étaient étrangement multipliés. Il en existait plusieurs sur la tête, quatre à l’extrémité de la queue et deux à chaque anneau du corps. Cette multiplication même me semblait être une véritable objection aux idées d’Ehrenberg. Comment croire à cette profusion d’organes oculaires ? Et pourtant l’étude des animaux vivans semblait confirmer cette détermination. Je voyais la queue remplir toutes les fonctions de la tête, et cela avec des preuves évidentes de spontanéité et d’intelligence. Cette queue s’avançait la première, explorait les objets sans les toucher, se détournait devant

  1. Le mot cristallin est pris ici dans une acception générale et comme exprimant l’ensemble de l’appareil réfringent de l’œil.