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engagea la bataille, et par suite on tomba, de part et d’autre, dans l’exagération et l’erreur. Les travaux publiés depuis une dizaine d’années commencent à faire la part de la vérité. Sans doute il reste encore à éclaircir bien des points de détail, mais on peut dire d’une manière générale que toute étude sérieuse a pour résultat de nous montrer jusque dans l’animal le plus infime une complication organique très réelle. Les partisans de la simplicité organique perdent à chaque instant quelqu’une de leurs positions. Aujourd’hui ils ne peuvent guère se défendre qu’en invoquant les résultats négatifs fournis par les infusoires, c’est-à-dire par des êtres que leur petitesse excessive dérobe à la plupart de nos moyens d’investigation.

Parmi les points de fait ou de doctrine les plus vivement attaqués et soutenus dans cette querelle, il faut placer l’existence d’organes des sens distincts, et surtout l’existence des yeux, chez un grand nombre d’animaux appartenant aux embranchemens des mollusques, des annelés et des rayonnés. Ehrenberg avait considéré comme tels certains points colorés qu’on trouve sur le bord de l’ombrelle chez les méduses, à l’extrémité des rayons chez les étoiles de mer, à la tête chez les annélides, les planaires, les rotifères, etc., à l’une des extrémités du corps chez les euglènes et quelques autres infusoires. La plupart de ces déterminations furent niées d’une manière absolue, et cela bien à tort. À mesure qu’on a approfondi davantage l’étude de ces êtres, lorsque leur taille les rendait accessibles à nos procédés d’examen, on a dû reconnaître que la plupart possédaient bien de véritables organes pour la vision. Les témoignages, sur ce point, sont venus en foule de tous les points de l’Europe savante. Les annélides, entre autres, m’en ont fourni un exemple bien frappant. Une des espèces que nourrit la mer de Sicile a des yeux presque aussi complets que ceux d’un poisson. Ici j’ai pu énucléer le cristallin et l’étudier isolément. Placé sur un verre mince et recevant des rayons parallèles envoyés par un miroir plan, il a formé des images parfaitement achromatiques. Ces images, reprises et grossies par le microscope, me permettaient de distinguer avec une netteté parfaite jusqu’aux moindres détails de la côte voisine. Grace à ce cristallin d’annélide, mon microscope se trouvait transformé en lunette d’approche.

Mais l’opposition aux idées d’Ehrenberg devint plus vive quand ce naturaliste annonça qu’il avait découvert une annélide, l’amphicora, qui portait à l’extrémité de la queue des yeux tout semblables à ceux qu’on trouvait à la tête. Comment accepter, disait-on, une pareille transposition des sens ? Comment admettre qu’il pût exister des yeux à une aussi grande distance du cerveau et sans rapport probable avec lui ? On le voit, la question se généralisait et acquérait une haute importance physiologique. Il ne s’agissait plus seulement de savoir si les