qu’une étroite bandelette partout égale, et dans l’épaisseur de laquelle les ganglions étaient comme noyés. Entre ces deux extrêmes, j’ai constaté bien des intermédiaires. Ainsi tombent une à une devant un examen chaque jour plus sérieux toutes ces généralisations prématurées, inspirées surtout par l’étude exclusive des animaux à type fixe ; ainsi se révèle chaque jour davantage l’importance scientifique des animaux inférieurs. Sous ce rapport, les botanistes en sont au même point que les zoologistes. Pour résoudre les plus difficiles problèmes de leur science spéciale, ce n’est plus au chêne ou au palmier qu’ils s’attaquent c’est aux algues, c’est aux végétaux inférieurs. Ainsi, les mille travaux des trois derniers siècles ont eu dans les deux règnes un résultat général identique. Certes, ce n’est pas là une coïncidence fortuite, et ce fait justifie pleinement à lui seul la persévérance des hommes qui, bravant le préjugé contraire, s’adressent à ces êtres si long-temps dédaignés pour leur demander les secrets de la vie.
Nulle part autant que chez les annélides, la création animale ne se montre comme un véritable protée, revêtant à chaque instant de nouvelles formes et se plaisant à dérouter l’observateur par les modifications les plus inattendues. Le polyophthalme va nous montrer un des plus curieux exemples de ces métamorphoses ; mais ici quelques détails historiques sont nécessaires pour faire comprendre tout l’intérêt qui s’attache à l’étude d’un petit ver de quelques lignes de long.
Les belles découvertes de M. Ehrenberg avaient réveillé dès avant 1830 une discussion déjà fort ancienne. Parmi les naturalistes, les uns, adoptant les idées de l’illustre micrographe de Berlin, admirent que les animaux les plus petits, ceux que nos classifications repoussent aux derniers rangs de l’échelle zoologique, présentent une organisation tout aussi compliquée que celle des animaux plus élevés. D’autres, au contraire, marchant sur les traces du célèbre chef des philosophes de la nature, soutinrent avec Oken que l’organisation allait se simplifiant de haut en bas d’une manière progressive, de telle sorte que des groupes entiers, composés en quelque sorte d’animaux rudimentaires, manquaient presque entièrement d’organisation. Pour ces derniers comme pour Réaumur, les méduses, par exemple, n’étaient que des masses de gelée vivante ; les planaires, la plupart des intestinaux, étaient des animaux à peu près complètement parenchymateux. Pour eux, cette simplification des organismes remontait même très haut, et le système nerveux, par exemple, manquait à des classes entières.
En France, en Allemagne, les deux thèses furent attaquées et soutenues avec vivacité. Sans même s’être posé la question préalable : — Que doit-on entendre par l’expression d’animaux inférieurs[1] ? – on
- ↑ Nous avons répondu à cette question dans la livraison du 15 février 1841. (Souvenirs d’un naturaliste, — L’île de Bréhat, le phare des Héhaux.)