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forment une plage hérissée de pointes, de lames étroites, entrecoupée de trous et de fentes comme je n’en avais pas encore rencontré. Au milieu de ce désordre, plus d’herbiers, plus de vase propres à nourrir des animaux marins et se laissant facilement pelverser. Partout du sable pur, par conséquent inhabité, ou des roches solides recelant entre leurs lames ces êtres que je venais poursuivre au nom de la science. Une pioche ordinaire : m’eût été ici d’un faible secours ; mais heureusement j’avais pris mes précautions. Une forte bêche en spatule, aciérée et terminée en arrière par un pic aigu, tel était l’instrument avec lequel j’attaquai ces feuillets d’un calcaire compacte souvent doublé de quartz. Au besoin, j’y joignis le marteau, et bientôt vases et flacons commencèrent à se peupler. Toutefois, pas plus ici qu’à Biarritz, qu’à Saint-Jean de Luz, qu’à Saint-Sébastien, je ne retrouvai cette surabondance d’animaux marins à laquelle m’avaient habitué mes courses précédentes. Les côtes de la Manche, exceptionnelles peut-être, sous ce rapport, m’avaient gâté la baie de Biscaye.

Guettary devint donc mon quartier-général. Tantôt j’explorais ses environs en zoologiste, tantôt je partais pour les falaises de Bidar, muni d’un large havresac de toile à voile qui se gonflait bientôt d’empreintes végétales, de mollusques, de zoophytes fossiles destinés à figurer dans les galeries du Muséum. À diverses reprises, je poussai mes excursions jusqu’au fort du Socoa, placé à la pointe méridionale de la baie de Saint-Jean de Luz, et, pour mettre mieux à profit ces courses lointaines, j’emportais un double appareil d’instrumens. Mon équipage alors tenait un peu du Robinson. À mon épaule droite pendait le sac aux fossiles, à l’épaule gauche la longue boîte de fer-blanc destinée aux grands animaux ; à ma ceinture, en guise de poignard, était passé le marteau, tandis que des tubes et des flacons, montrant leurs goulots par toutes les poches, simulaient d’inoffensives cartouchières ou de très pacifiques pistolets. Ma double pioche, avec son robuste manche de frêne, achevait de me donner quelque chose d’assez étrange. Aussi pêcheurs ou laboureurs, en me voyant passer, m’accompagnaient-ils d’un long regard de curiosité, et plus d’une fois je fus suivi par les gamins dans les rues de Saint-Jean de Luz.

Cette ville, la dernière de France de ce côté de nos frontières, mérite à plus d’un titre tout l’intérêt du voyageur. Sa rade, la seule que possèdent nos côtes de la Gironde à la Bidassoa, présente un de ces coups d’œil qu’on admire même après avoir vu la baie de Palerme et le golfe de Naples. Le pays basque se montre ici dans tout ce qu’il a de gracieux et de sévère. Du haut de la pointe Sainte-Barbe, dont les casemates aujourd’hui en ruines croisaient leurs feux avec ceux du fort Socoa, l’œil tourné vers le sud rencontre une suite de coteaux arrondis, irrégulièrement semés d’arbres et de petites maisons semblables à des