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garnis d’un appât de toile peinte imitant grossièrement une sardine. Il faut toute l’intrépidité proverbiale des marins basques pour se hasarder à de telles distances avec de simples chaloupes non pontées et sur une mer qu’entoure de toutes parts cette redoutable côte de fer, où tout navire qui échoue est fatalement perdu corps et biens ; mais aussi, quand la pêche est bonne, les profits sont considérables. J’ai vu une de ces chaloupes revenir à Guettary chargée de plus de quatre-vingts thons pesant au moins trente livres en moyenne. Dans sa campagne de deux jours, l’équipage, composé de cinq hommes et d’un mousse, avait gagné plus de 1000 francs.

Les armemens de Terre-Neuve, la pêche du thon et celle de la sardine, que pratiquent surtout les pêcheurs du Socoa, répandraient aisément sur toutes ces côtes le bien-être et même la richesse. Mes hôtes de Guettary étaient un exemple frappant de ce que peuvent ici l’ordre et l’économie. À vingt ans, simple matelot et sans fortune, Cazavan avait épousé une femme aussi pauvre que lui, puis il était parti pour Terre-Neuve. Aujourd’hui, il est propriétaire et un des premiers maîtres voiliers de Bayonne, Malheureusement ce ménage est une honorable exception. L’incurie et la dissipation maintiennent dans la pauvreté ces populations qui pourraient si facilement arriver à l’aisance, et, chose étrange, ce sont les femmes surtout qu’il faut accuser de ce triste résultat. Entourées de matelots, elles en ont pris le caractère et les mœurs. La plupart se livrent à l’ivrognerie, et, quand le père ou les enfans embarqués sur les navires reviennent à terre, il y a toujours à solder sur leurs épargnes des comptes de boulangers et de marchands de vin. Le peu qui reste est bien vite dissipé de la même manière. Voilà comment Guettary, qui fournit à lui seul plus de deux cents pêcheurs de morue, qui reçoit par conséquent chaque année par cette seule branche d’industrie 200 ou 250, 000 francs en beaux écus, souffre de la misère malgré cette source de capitaux qui enrichiraient rapidement les communes placées à quelques lieues de là ; car, il faut le dire, les Basques de la plaine et des montagnes ne ressemblent pas à leurs frères des côtes, et, à des distances très rapprochées, on peut constater une fois de plus l’influence moralisante des travaux agricoles.

À droite du petit havre, dont j’ai parlé plus haut, s’étend la plage sablonneuse qui relie Guettary, Bidar et Biarritz. À gauche, commencent les roches qui, jusqu’à l’embouchure de la Bidassoa, bordent le pied des falaises et découvrent à chaque marée. C’était là mon champ de récolte, champ difficile à exploiter s’il en fut. Sans cesse battu par les vagues, le terrain crétacé a été rasé au niveau de la haute mer comme une sorte de trottoir irrégulier qui avance au large de quelques centaines de mètres. Ses couches plissées, tordues en tout sens comme les feuillets d’un cahier qu’on aurait pris plaisir à chiffonner,