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que M. Dufrenoy avait fait le dessin qui accompagne son mémoire, et l’aspect des lieux avait étrangement changé. Sous le choc incessant des vagues, le gypse avait presque entièrement disparu ; la falaise avait reculé d’au moins cent cinquante pieds vers l’intérieur des terres. Seule, l’ophite avait résisté grace à sa dureté extrême, et maintenant elle s’élevait au milieu de la plage comme un témoin de la puissance destructrice des flots. M. de Collégno, habile géologue qui, bien avant moi, avait fait cette remarqué, estime à dix pieds environ l’empiétement annuel de la mer[1].

Ce fait, qui se reproduit avec plus ou moins d’intensité tout le long de la côte, tient à la nature même et à la structure des roches. Ce sont généralement des calcaires marneux ou sablonneux, qui se délitent sous l’action seule des agens atmosphériques. De plus, elles sont presque partout divisées en lames minces, parfois séparées par des couches de terre glaise. Celles-ci, entraînées par les eaux, abandonnent à l’action des vagues non plus une masse solide, mais une sorte de pâte feuilletée qui cède au moindre choc. Aussi de la Chambre d’amour jusqu’à la baie de Saint-Jean de Luz le rivage offre-t-il à chaque pas des preuves de sa destruction progressive. Partout des crevasses profondes, des terres éboulées, des roches récemment fracturées frappent les regards. La science profite d’un état de choses si menaçant pour l’avenir de ces contrées. Les flancs déchirés des falaises laissent à nu d’innombrables fossiles, débris des races animales ou végétales qui peuplaient ces antiques mers, et chaque orage, chaque tempête prépare au naturaliste une nouvelle moisson. Armé du marteau des géologues, du ciseau des tailleurs de pierres, je me mis aussitôt à l’œuvre, et peu de jours me suffirent pour remplir une caisse entière, grace au guide expérimenté qui dirigeait mes explorations[2].

On voit que le touriste et le géologue trouvent à Biarritz tout ce qui peut les arrêter. Il n’en est pas de même pour le zoologiste. Isolés entre deux longues plages sablonneuses, sans cesse rongés par les vagues, les rochers de la pointe n’offrent aux animaux marins qu’une retraite précaire et restreinte. Aussi quelques petits mollusques, quelques rares annélides, quelques zoophytes des plus communs composent-ils toute leur faune. Sous peine de perdre mon temps, je dus chercher fortune ailleurs, et, guidé par les cartes de M. Beautemps-Beaupré, je ne tardai pas à m’installer à deux lieues environ de Saint-Jean de Luz, dans le petit village de Guettary.

  1. Bulletin de la Société géologique de France, 1839.
  2. M. Darrac de Bayonne, bien connu de tous les naturalistes qui ont visité ces contrées. C’est un de ces hommes trop rares en province qui savent conserver le feu sacré de la science au milieu des soucis de leur profession et de l’indifférence de leurs concitoyens.