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car la justice locale, seule ressource qui leur reste, est hors d’état de donner une sanction suffisante à ses arrêts. J’écris l’histoire, non d’une, mais de cent compagnies. Le seul genre d’association qui tienne en Californie, c’est celle de la famille. Une famille de six garçons ou filles sachant tous travailler et ayant un esprit d’union réaliserait, à San-Francisco, de 20 à 30,000 francs en six mois. La vie n’y est pas excessivement chère pour l’homme du peuple. Le biscuit et le lard reviennent aussi bon marché en ce moment qu’aux États-Unis. Les loyers, il est vrai, sont exorbitans ; mais on a la ressource de coucher sous des tentes dont les rangées immenses, se prolongeant à perte de vue tout à l’entour de la ville, forment, pour ainsi dire, les faubourgs de San-Francisco. Sur le théâtre même des exploitations, la vie avait été, pendant long-temps, d’une cherté excessive. Une boite de sardines s’y payait une once (85 francs), et une bouteille d’eau-de-vie 20 piastres (100 francs). Maintenant, on a toutes les denrées nécessaires à la vie à très bon compte, grace aux facilités de transport qu’offrent les bateaux à vapeur de la baie de San-Francisco.

Comme les prix varient aux mines avec les localités et se règlent sur les besoins de chaque petit centre, il est impossible de donner une moyenne qui puisse servir de boussole au commerce français. En évaluant à deux cent mille le nombre actuel des travailleurs et à 12 piastres par jour la moyenne des gains pour chacun, on arriverait à un produit quotidien de 240,000 piastres, soit 12 millions de francs. Ce chiffre est, je n’hésite pas à le dire, beaucoup au-dessus de la somme qui s’obtient réellement. Les chercheurs d’or, gens du peuple, pour la plupart, éprouvent cet entraînement irrésistible vers les boissons fortes, qui caractérise partout la race anglo-saxonne. Il est rare qu’ils ne suspendent pas leur travail quelquefois pendant plusieurs journées de suite pour donner libre carrière à ce penchant, dès qu’ils se voient possesseurs de quelques milliers de francs. C’est le lendemain de ces jours d’orgie qu’ils sont pris, en général, des fièvres qui règnent dans l’intérieur. Ces fièvres ont donc leur cause moins dans le climat même que dans les habitudes déréglées des émigrans. Le pays est loin d’être malsain, et à San-Francisco l’air est si vif, qu’on ne peut porter que des vêtemens de laine. Le costume presque universel des travailleurs consiste en un gilet de flanelle rouge ou bleu et un pantalon de drap grossier ou de toile.

Les Français sont, après les Américains, l’élément le plus nombreux de la population actuelle de la Californie. On en trouve près de dix mille, soit à San-Francisco, soit aux mines. Ceux d’entre eux qui ont une bonne conduite, et c’est, je suis heureux de pouvoir le dire, la grande majorité, réussissent parfaitement. Plus sobres que les Américains