Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bénéfices considérables, s’il se présentait sous forme transportable, occasionne des pertes, faute de cette précaution. Je citerai pour exemple les vins et les eaux-de-vie, qui se placent beaucoup plus avantageusement expédiés en caisses que lorsqu’on les offre à l’acheteur en pièces. La main-d’œuvre, en un mot, est nécessairement le grand régulateur de toutes choses dans un pays où elle a encore une valeur si exorbitante.

La tranquillité la plus parfaite règne aujourd’hui aux mines. Des Français, des Américains, des Anglais, travaillent côte à côte, sans qu’il s’élève entre eux la moindre difficulté. La présence d’une pioche ou d’une bêché dans le voisinage d’un trou indique que ce trou est devenu la propriété d’autrui. En voyant ce signe, les travailleurs passent leur chemin, et vont chercher ailleurs un terrain encore inoccupé. Souvent le bruit se répand que des résultats extraordinaires s’obtiennent sur un point donné : aussitôt on s’y porte en foule ; mais, arrivé sur les lieux, chacun respecte les droits acquis, et se borne à s’établir dans le voisinage de ceux qui ont fait la découverte.

Le chercheur d’or n’est point communiste, bien qu’essentiellement démocrate. S’il vous permet de garder le trou que vous avez creusé, il s’opposera énergiquement à ce que vous vous empariez d’un bassin ou d’un champ tout entier. C’est en partie parce que les Chiliens et les Mexicains s’étaient mis au service de compagnies et ne travaillaient pas directement pour eux-mêmes que les Américains s’étaient soulevés contre eux et les avaient chassés des mines. Il est vrai que la querelle avait fini par changer de caractère et dégénérer en guerre de race. Des bandes d’Américains, principalement venues de l’Orégon, voulurent même expulser tous ceux qui ne parlaient pas l’anglais. Il y eut un moment où les Français, sérieusement menacés de leur côté, eurent à s’occuper de leur propre défense. Il se trouvait alors parmi les émigrans français un jeune Vendéen, arrivé tout récemment de Taïti, où il avait servi en qualité de lieutenant d’infanterie de marine. À la première nouvelle de la révolution de février, il s’était hâté de prendre un congé, alléguant pour motif que sa conscience ne lui permettait pas de servir un gouvernement dont le principe était contraire à ses traditions de famille et à ses convictions personnelles. Le gouverneur Lavaud, qui respectait sa sincérité et appréciait son mérite, lui avait accordé un congé de quelques mois. Le jeune Vendéen en profita pour se rendre à San-Francisco et de là aux mines, où il se mit à travailler à côté de cinq ou six cents Français, la plupart déserteurs de nos navires baleiniers ou de nos bâtimens de guerre. Tous s’émurent grandement de cette mesure des gens de l’Orégon, et, comme on annonçait avoir choisi pour la mettre à exécution l’anniversaire de la déclaration d’indépendance, tous s’armèrent sur-le-champ et allèrent se ranger