commis le délit en question, il en a commis d’autres, ici ou ailleurs ; Pendez ! » Les assistans se regardaient en souriant, puis allaient mettre l’arrêt à exécution.
À cette époque, on suivait l’ancien système espagnol, qui, laissant tout pouvoir à l’alcade, n’admet pas l’intervention du jury. Plus tard, ce système fut modifié, les Américains éprouvant une répugnance invincible à se passer d’un accessoire qui seul empêche la justice de dégénérer en despotisme. Il est vrai que l’adoption du jury ne servit, dans les circonstances où on était alors, qu’à rendre la procédure un peu plus grotesque. Que de fois n’a-t-on pas vu un jury de douze ivrognes se constituer pour juger un autre ivrogne ! Le verdict de culpabilité, verdict presque invariable, était à l’instant suivi de la formule favorite de l’alcade : « Pendez. » Alors on voyait la scène la plus étrange qui se puisse imaginer. Le président du jury, lui-même fortement pris de vin, tirait de sa poche une Bible et en lisait un chapitre au malheureux condamné. Puis, chaque juré l’embrassait en l’assurant qu’un sentiment de devoir avait seul dicté son verdict. « Allons, camarade, ajoutaient-ils, du courage ; il te reste encore quinze minutes à passer ici-bas pendant qu’on prépare la corde. Comment désires-tu les employer ? Yeux-tu une pipe et du tabac ? on te les donnera. Veux-tu du brandy ? en voilà. » Puis, jury, condamné et spectateurs allaient s’enivrer tous ensemble.
Un jeune Parisien de bonne famille avait monté un petit débit d’eau-de-vie dans ce district et y faisait rapidement fortune. Une difficulté seule s’était présentée pour lui. Parmi ses pratiques se trouvait un Américain, matelot déserteur, qui venait à chaque instant lui demander à boire le pistolet à la main, et ne payait que rarement ou jamais. Las de cette persécution, notre jeune compatriote eut recours à l’alcade pour la faire cesser. Le brave magistrat écrivait alors un verdict de mort qu’il venait de prononcer. À la plainte qu’on faisait, il ne répondit point ; seulement, lorsque les circonstances eurent été détaillées, il étendit la main, prit sur la table, à sa droite, un pistolet à deux coups et l’offrit au plaignant, le tout sans lever les yeux de dessus son papier. — Qu’est-ce que c’est, monsieur l’alcade ? qu’est-ce que c’est ? Que voulez-vous ? — Prenez, répondit le magistrat avec son laconisme habituel. Vous vous laissez insulter, donc vous n’avez pas de pistolets. Prenez, vous me le rendrez après. Notre jeune marchand rentra sous sa tente, ramassa tout ce qu’il put emporter et quitta le pays pour toujours. — J’ai 60,000 francs, m’a-t-il dit en me racontant ce trait ; la tête me reste encore sur les épaules. Au diable l’alcade et ses subordonnés ! Je rentre en France par le prochain courrier.
Peu de semaines avant mon passage à San-Francisco, le peuple