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même qui, pressé fortement contre le dos du cheval, aide à maintenir cet étrange équilibre ; néanmoins ils furent mis en une déroute complète. Les balles du colonel X…, grace à ce coup d’œil infaillible qui distingue le chasseur américain et qui fait qu’aucun objet, quelque petit qu’il soit, ne peut échapper à l’atteinte de son arme, allaient se loger, à la grande terreur des Indiens, dans le pied resté à découvert. Au bout de sept à huit jours d’absence, le colonel X… rentra à Durango ; il avait perdu trois de ses compagnons, mais il ramenait les captives. Loin de lui témoigner de la reconnaissance pour sa bravoure, les habitans de Durango refusèrent de payer la somme convenue et ordonnèrent aux Américains de quitter leur ville. À ce message insolent, le brave colonel répondit qu’il ne se retirerait que lorsqu’on lui aurait remis les 4,000 piastres, et que, faute d’y accéder dans les vingt-quatre heures, lui et les vingt-sept hommes dont il disposait encore s’empareraient de Durango. La réponse produisit son effet. L’alcade de Durango apporta, le lendemain, les 4,000 piastres en espèces, après quoi le colonel X…, pour employer sa propre expression, secoua la poussière de ses pieds et reprit tranquillement sa route.

Ce qui surprend le plus à San-Francisco, c’est la rareté des vols, malgré les facilités de tout genre qui s’offrent aux mauvais instincts de la population suspecte agglomérée dans la ville. Ainsi, dans les cours des maisons particulières, devant les portes, dans les rues, sur les places publiques, partout en un mot, on se heurte contre des tas de marchandises venues de tous les points du globe et éparpillées là, en apparence sans protection ni surveillance aucune, et pourtant jamais les filous, les flibustiers de profession qui se promènent par la ville, ne s’avisent d’y toucher. La raison en est que, comme beaucoup d’autres pays du globe, la Californie a son code de morale particulier, code accepté et reconnu de tous. Ainsi il est bien permis de s’y passer le caprice d’un coup de couteau ou de pistolet dans une affaire de vengeance ou dans une querelle ; mais toucher au bien d’autrui, c’est la plus grande des énormités : une vingtaine de balles partent à l’instant des tentes et des maisons environnantes, et vont chercher le voleur. Marchand, mineur, batelier, tout le monde quittera sur-le-champ ses occupations pour s’élancer à sa poursuite, car tout le monde est intéressé à empêcher le vol, et cependant il n’y a ni gendarmes, ni soldats pour veiller spécialement sur les intérêts du public. Un tel état de choses éveillera au premier moment un sentiment d’étonnement et presque d’indignation : on ne conçoit pas qu’un gouvernement puisse manquer à son devoir le plus essentiel, au point de ne pas accorder à un pays qui s’est rangé sous sa bannière une protection officielle et directe ; mais beaucoup de choses que l’Européen a peine à concevoir paraissent à l’Américain naturelles et simples. La