C’était un Américain, ancien banqueroutier de l’Union, qui, arrivé en Californie six mois auparavant, se voyait déjà possesseur d’une fortune évaluée à un million de francs. Parmi les convives se trouvaient plusieurs officiers de l’armée et de la marine américaine. Le dîner s’était prolongé fort avant dans la soirée, ayant été assaisonné de toasts et de speeches. Un des officiers me proposé, en sortant, de me servir de cicerone par la ville. J’accepte. Nous entrons dans l’une des maisons de jeu les plus fréquentées. Arrivé jusqu’à la table verte, non sans beaucoup d’efforts, je tire de ma poche une pièce de cent sous et la jette sur la table en désespéré. Un homme encore jeune, à la longue barbe, à l’air grave et posé, aux manières aristocratiques, présidait. Il s’arrête dans son travail au moment d’imprimer une secousse à la roulette ; il me regarde un instant, puis, ramassant ma pièce, me la tend avec un sourire prévenant. « Je vois, me dit-il en fort bon français, que monsieur est étranger et qu’il n’est pas encore au fait de nos usages. Ici nous jouons, non des pièces de cinq francs, mais des onces. Monsieur voudra-t-il bien reprendre ses cent sous ? » Il appuya légèrement sur les deux derniers mots. Frappé des manières d’un aussi aimable président, j’attendis une occasion favorable pour entrer en conversation avec lui. Il se prêta à mon désir avec un grand empressement. « Vous voulez savoir, me dit-il, si notre banque fait de bonnes affaires, je serai franc avec vous. Elle en fait de passables ; j’excepterai pourtant cette soirée, qui a été détestable. Nous allons fermer tout-à-l’heure, et je doute que nos bénéfices, depuis huit heures, s’élèvent à 20,000 piastres (100,000 francs). Heureusement, nous avons mieux réussi les nuits précédentes ; sans cela, nous serions bien à plaindre, car ne gagner que 20,000 piastres dans une soirée, c’est, pour une banque de ce pays, être volé comme dans un bois. » Mon interlocuteur me raconta ensuite qu’il avait joué un rôle important dans un des clubs de Paris jusqu’aux évènemens de juin. « Nous perdîmes la partie alors, ajouta-t-il, et c’est pourquoi j’ai cru qu’il valait mieux changer de théâtre. »
La passion du jeu n’a pas été importée en Californie par’ les Américains ; de tout temps, les habitans de cette contrée s’y sont adonnés avec fureur ; au Mexique, il en est encore de même aujourd’hui. Le jeu appelé monte est celui qui attire le plus d’amateurs ; mais la roulette a aussi ses partisans, ainsi que le jeu dit « des bêtes, » dans lequel des animaux placés au bout d’un cabestan armé de baguettes mobiles reçoivent un mouvement de rotation, puis s’arrêtent au-dessus de certaines cases contenant des animaux qui leur correspondent.
La population de San-Francisco se grossit chaque jour des émigrans qui arrivent par mer de toutes les parties du monde. Les îles Sandwich, Taïti, les archipels Viti et Fidgi, ainsi que la Nouvelle-Zélande et Sydney, se sont vidés plus ou moins complètement de leur population