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et prendre, sans grande résistance, par deux ou trois marins embarqués dans un frêle canot qu’il leur serait facile de submerger d’un seul coup de queue. La baleine californienne est d’humeur bien moins accommodante : dès qu’elle voit arriver les embarcations, elle se retourne résolûment contre elles et leur donne la chasse à son tour. Surpris et épouvantés d’un courage si nouveau pour eux, les baleiniers se sont bien vite dégoûtés de leur tâche ; ils ont définitivement abandonné le champ de bataille, laissant leur terrible ennemi en repos. Aussi, pendant que l’espèce multiplie sur la côte de la Californie, elle tend au contraire à disparaître dans les parages où elle ne songe pas à se défendre. Aujourd’hui, la baleine russe se trouve refoulée dans les mers lointaines du Japon et d’Okotsk, et, même dans ces parages d’accès difficile, elle ne réussit pas à se mettre à l’abri de ses audacieux persécuteurs. Cet exemple n’a-t-il pas sa morale, comme bon nombre d’autres fournis par le règne animal ? porter la guerre dans le camp ennemi, prendre les devans avec qui veut vous attaquer, c’est là le plus sûr moyen de salut pour les nations comme pour les particuliers. Aujourd’hui surtout que les passions se déchaînent avec tant de violence, et que les appétits de l’homme, s’abritant derrière une philosophie spécieuse, s’érigent en divinités, comme au temps du paganisme, malheur aux peuples qui ne savent pas défendre, avec leurs droits héréditaires, les prérogatives conquises par le travail ! Les attaques directes et incessantes des ennemis de la propriété les auraient bientôt conduits à leur ruine.

Le goulet de San-Francisco ressemble beaucoup à celui de Brest. Il est assez étroit pour que les forts qu’il est question d’élever de chaque côté puissent croiser leurs feux et en commander l’entrée ; il contient en outre assez d’eau pour faire flotter les plus gros navires. Arrivé au front du goulet, le voyageur voit se déployer devant lui, non point un port ou même un lac, mais une Méditerranée en miniature. Le port de San-Francisco contiendrait facilement toutes les flottes de la terre, — précieux trésor pour « le voisin Jonathan, » -et l’on a lieu de s’étonner qu’une position pareille soit restée si long-temps inoccupée. Un îlot situé dans l’intérieur de la baie, à peu de distance du goulet, est évidemment destiné à servir d’emplacement à une batterie : ce sera un nouvel élément de force et de sécurité pour un port qui’ en possède déjà de si nombreux.

Herba Buena, autrement dit San-Francisco, se trouve à droite, en entrant dans la baie, un peu au-delà de l’ancien fort espagnol. C’est aujourd’hui une ville de cinquante mille amies, qui promet de devenir, en peu d’années, la capitale de la mer pacifique. Des forêts de mâts, qui se déploient à perte de vue tout alentour, rappellent le Havre et Marseille. Il y a en ce moment plus de trois cent quarante bâtimens de commerce mouillés près de la ville, sans compter un nombre fort