Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’auteur a également raison en principe lorsqu’il proclame la nécessité de réduire le personnel des différens services. Pour ne parler que de l’armée, l’Espagne est arrivée à ce point de désordre qu’elle a dans ce moment en moyenne quinze généraux ou maréchaux de camp pour chaque régiment d’infanterie ; mais ce n’est là qu’une surcharge temporaire, et qui, si l’on y regarde de près, n’est nullement onéreuse pour le trésor. En effet, nous ne sachons pas que la situation financière se soit le moins du monde aggravée depuis que le gouvernement, en reconnaissant les grades conquis sous d’autres drapeaux que le sien, a dissous l’état-major de la guerre civile. Bien au contraire, le revenu du trésor et le crédit public se sont sensiblement relevés. C’est là de la politique d’expédiens, tant qu’on voudra ; mais un gouvernement n’a pas toujours le choix de sa politique.

Nous aurions à relever dans les projets financiers de M. Moron bien d’autres contradictions, bien d’autres impossibilités. En revanche, nous ne pourrions qu’adhérer sans réserve à différentes mesures qu’il propose, soit pour mettre fin aux dilapidations traditionnelles qui rognent au passage les revenus du trésor, soit pour diminuer les frais de perceptions. Plusieurs de ces mesures rentraient déjà dans les plans du ministère ; d’autres mériteraient, selon nous, d’y figurer.

Quoi qu’il en soit, un simple rapprochement nous autorise à ne pas désespérer des finances péninsulaires : avec une population qui dépasse de beaucoup le tiers de la nôtre, l’Espagne a un budget qui n’égale même pas le cinquième du nôtre, et si l’on songe que la matière imposable est bien loin d’avoir atteint chez nos voisins son développement normal, on conviendra qu’il y a là pour leurs recettes une marge très considérable d’améliorations. En regard de ces chiffres si rassurans, vient se placer, il est vrai, celui de la dette tant consolidée que non consolidée, qui s’élève au total effrayant de près de seize milliards de réaux (4 milliards de francs), dont plus des trois quarts environ sont en souffrance[1] ; mais ces 12 ou 13 milliards en souffrance ne représentent pas en réalité, sur le marché, le vingtième de leur valeur nominale, soit environ 150 millions de francs. Il y a là les élémens d’une solution facile et loyale tout à la fois. En réduisant, par exemple, d’un quart son budget de la guerre, l’Espagne se mettrait en mesure de racheter cette énorme masse de papier en moins de dix ans.

Ce genre d’économie est, de tous, celui que l’opinion péninsulaire accueillerait avec le plus de faveur. L’opposition parlementaire l’a compris, et c’est par là qu’elle a abordé la question de Rome, où elle se trouvait beaucoup plus mal à l’aise que notre montagne. L’Espagne est essentiellement catholique ; l’envoi d’une expédition en Italie flattait tout à la fois ses croyances et son orgueil national, et les orateurs progressistes auraient été très mal venus à soulever à cet égard les questions de principe qui ont fait chez nous tous les frais du débat. Ils n’avaient même pas la ressource d’invoquer ici la raison d’état, car l’intervention espagnole est restée jusqu’au dernier moment à l’abri des complications

  1. Nous empruntons cette récapitulation de la dette à la Hacienda, excellent recueil financier qui se publie depuis quelques mois à Madrid, mais qui va céder la place à une publication officielle.