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guerre continue que coûta l’expulsion des Maures, la coutume qui admettait l’anoblissement par les femmes, la faculté laissée à l’hidalgo que sa pauvreté obligeait à déroger de se réhabiliter plus tard au moyen d’une formalité insignifiante, ont multiplié à l’infini cette noblesse secondaire, en même temps que les progrès successifs du régime municipal et du pouvoir royal achevaient de miner les prérogatives seigneuriales des grands vassaux. Qu’en est-il résulté ? Qu’au moment de la crise révolutionnaire, le principe aristocratique, qui se dressait chez nous comme une provocation devant l’orgueil déchaîné des masses, était au contraire devenu, en Espagne, une garantie d’ordre et d’union. Il ne blessait qu’un très petit nombre d’intérêts et intéressait un très grand nombre de vanités.

C’est donc une très grave question de savoir si le libéralisme espagnol a prudemment agi en affaiblissant un principe qui, dans ces conditions, ne pouvait plus être un danger et pouvait être une force. Les meilleurs esprits semblent hésiter à cet égard, et de là, sans doute, les interprétations si diverses et si contradictoires que reçoit en Espagne la loi sur l’aliénation des majorats, dont le texte et l’esprit ne sont pourtant pas douteux. Ce conflit de jurisprudences est assez bien discuté dans une brochure anonyme que nous avons sous les yeux[1], et qui sera consultée par quiconque s’intéresse à cette question presque vitale pour nos voisins.

Mais voici qui nous touche de plus près. L’Espagne doit un peu à tout le monde, et, à ce titre seul, M. Moron, qui nous donne des nouvelles de notre créance, serait le bienvenu. Malheureusement, ses rapports sont quelque peu passionnés. M. Moron est un de ces conservateurs déclassés qui passent leur vie politique à la poursuite de ce difficile problème : cumuler les profits du gouvernementalisme avec les honneurs de l’opposition. De là, dans son livre[2], un singulier amalgame d’idées pratiques et de lieux-communs faux et déclamatoires. Rien de plus aisé, par exemple, que de déplorer, comme le fait M. Moron, l’insignifiance des allocations consacrées, de l’autre côté des Pyrénées, aux travaux publics ; rien de plus légitime même que ce regret. Si le gouvernement de Louis-Philippe, rien qu’en perfectionnant les voies de communication, a pu augmenter le bien-être de la France, et par suite les recettes du trésor d’environ 45 pour 100, que ne produirait pas une politique analogue en Espagne, où il y a infiniment plus à faire sous ce rapport ? Mais reste toujours la question d’exécution. Pour subventionner largement les travaux publics, il faut de deux choses l’une : ou un excédant de recettes en caisse, et M. Gonzalo Moron crie tout le premier sur les toits que le trésor espagnol est en déficit, ou bien un emprunt, qui, dans la situation actuelle des finances, serait forcément usuraire et aggraverait ce même déficit que M. Gonzalo Moron voudrait à tout prix voir combler. M. Moron adjure d’ailleurs quelque part le gouvernement de s’affranchir de la tutelle des hommes d’argent, et malheureusement il n’y a que les hommes d’argent qui en prêtent.

  1. Cuuestion legal sobre et derecho de demandar bienes de los mayorazgos, etc. ; Madrid, 1849. Imprenta del Clamor publico.
  2. Estudios sobre la hacienda y la administracion de España : Madrid, 1849. Imprenta de la biblioteca del Siglo.