Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui, des Phéniciens aux Français, en passant par les Carthaginois, les Romains, les Goths, les Sarrazins et les Bérébères, sont venus dire là leur dernier mot. Les contrées grenadines semblent en effet vouées à une prédestination singulière. Soit que leur climat privilégié ; dont rêvait déjà le vieil Homère, appelât de toutes parts dans leur sein l’invasion, et par suite les conflits de race, soit que leur position géographique, à l’issue du monde européen et au seuil du monde africain, en fit tour à tour la première ou la dernière halte des civilisations successives, presque tous les grands enfantemens et les grands écroulemens de l’histoire ont eu leur sol pour théâtre, comme si Dieu, en ce long drame de l’humanité, avait pris à tâche d’observer l’unité de lieu. C’est là d’abord que Tyr et Sidon, ces deux reines de l’Orient biblique, viennent jeter, sous forme de colonies, les premiers fondemens de leur grandeur. C’est là que grandit Carthage, là qu’est organisée par Annibal cette immortelle expédition d’Italie, qui faillit détourner le courant du destin ; là que succombent coup sur coup la république romaine avec Cnéïus Pompée, la monarchie gothe avec Rodrigue, l’empire arabe avec Boabdil. C’est enfin là, sur le néfaste champ de bataille de Baylen, que Napoléon apprend pour la première fois à douter de ses aigles, non loin de cet autre champ de bataille de Munda, qui, vingt siècles plus tôt, avait vu reculer tour à tour les aigles du premier Scipion et celles du dernier Pompée. Quel historien pourrait trouver un sujet plus riche et plus attrayant ? M. Lafuente Alcantara l’a traité sans prétention, mais de main de maître. Impossible de fouiller plus amoureusement qu’il l’a fait ce sol privilégié, où chaque pierre est un débris, chaque débris le reste d’une civilisation éteinte. Loin d’alourdir la marche de l’écrivain, l’accumulation même des noms, des dates, des péripéties de toute espèce qui se pressaient autour de lui, l’a accélérée en lui faisant une nécessité perpétuelle de la concision. S’il s’arrête parfois, ce n’est que pour crayonner en passant ces vues d’ensemble qui sont à chaque époque historique ce que l’horizon est au paysage. L’anecdote, le trait de mœurs, la légende, tous les souvenirs d’art et de poésie qui germent sur ce poétique sol de Grenade, animent aussi ce livre, que M. Lafuente Alcantara, s’il était jamais permis d’affronter certains parallèles, aurait presque le droit d’intituler l’Histoire de la Civilisation en Espagne.

Le livre de M. Antequera pourrait servir de complément ou de commentaire à l’Histoire de Grenade. M. Lafuente Alcantara étudie le passé de l’Espagne dans les événemens, et M. Antequera l’étudie dans les lois. La clarté et la sagesse de vues qu’on remarque dans tout cet écrit nous font regretter que M. Antequera se soit imposé un cadre trop étroit. Comment analyser en un seul volume ce chaos de lois hétérogènes et contradictoires qui constituent l’ancien droit espagnol, et dont la disparité même est cependant le côté le plus caractéristique ? L’auteur a donc dû se borner à esquisser à très grands traits les aspects les plus saillans de chaque période législative. Son livre n’est pas moins appelé à rendre de très nombreux services en vulgarisant un genre d’études qui a maintenant pour l’Espagne un véritable intérêt d’actualité. Nos voisins travaillent en effet, depuis trente ans, à refondre et à simplifier leur législation. Ils ont déjà un code pénal et un code de commerce ; mais, quant à leur jurisprudence civile, elle en est toujours réduite à chercher des textes jusque dans la ley de partidas, qui date d’Alphonse-le-Sage, et, qui plus est, jusque dans le fuero juzgo ou