Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.

À Paris, boulevard Montmartre,
Mob se montrant en plein midi !

La chose vaut qu’on la regarde ;
Vrais fantômes de vieux grognards,
En uniforme de l’ex-garde,
Avec deux ombres de hussards !

On eût dit la lithographie
Où, dessinés par un rayon,
Les morts que Raffet déifie
Passent, criant : Napoléon !

Ce n’étaient pas les morts qu’éveille
Le son du nocturne tambour,
Mais bien quelques vieux de la vieille
Qui célébraient le grand retour.

Depuis la suprême bataille,
L’un a maigri, l’autre a grossi ;
L’habit jadis fait à leur taille
Est trop grand ou trop rétréci.

Nobles lambeaux, défroque épique,
Saints haillons qu’étoile une croix,
Dans leur ridicule héroïque,
Plus beaux que des manteaux de rois !

Un plumet énervé palpite
Sur leur kolbach fauve et pelé ;
Près des trous de balle, la mite
À rongé leur dolman criblé.

Leur culotte de peau trop large
Fait mille plis sur leur fémur ;
Leur sabre rouillé, lourde charge,
Embarrasse leur pied peu sûr ;

Ou bien un embonpoint grotesque,
Avec grand’peine boutonné,
Fait un poussah dont on rit presque
Du vieux héros tout chevronné.

Ne les raillez pas, camarade ;
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d’une Iliade
Qu’Homère n’inventerait pas.