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rétrospectif que sont sortis les États d’Orléans. S’il n’y a pas lieu de se féliciter de la circonstance à laquelle on doit la publication de ce livre, il sied au moins de remercier l’homme qui a eu le courage de profiter, pour l’écrire, d’un moment où il était si facile de se laisser abattre. Les esprits de premier ordre, ceux qui, par leur clarté et leur rectitude, ont une place marquée dans la politique en même temps qu’ils conservent un côté artiste, une physionomie littéraire acquise par la direction primitive de leurs études, ont à se préserver d’un double écueil, à éviter deux extrêmes également fâcheux. Si la pratique et le mouvement des affaires les absorbent en entier, s’ils abdiquent, pour cette nouvelle carrière, le rôle que leur assignaient leurs précédentes aptitudes dans l’ensemble des ouvrages de l’esprit, de l’éducation intellectuelle de leur temps, ils laissent une lacune ; ils cèdent le,pas aux aventuriers de la littérature ; ils livrent ou gaspillent, pour leur part, le dépôt des saines traditions de la pensée et du goût. Si, au contraire, en dépit des austères leçons de la vie publique et des rudes spectacles de notre époque, ils s’obstinent à rester trop artistes, trop littérateurs, il est à craindre que leur rôle, d’abord brillant, ne devienne à la longue un peu frivole, qu’un peu de puérilité tardive ne se mêle à ce culte exclusif et absolu de l’art, qu’on n’accuse leur talent, leurs prétentions et leurs allures, de rester plus jeunes que leur âge. Quelques-uns seulement, les plus éclairés et les plus sages, s’étudient à distribuer, à partager l’emploi de leurs facultés diverses, de manière à faire de leurs travaux littéraires les commentaires de leur vie publique, à compléter tour à tour l’écrivain par l’homme et l’homme par l’écrivain. Cette exquise mesure, cette féconde alliance, profitables en tous temps, sont surtout nécessaires dans ces époques orageuses et troublées, où les esprits d’élite n’ont pas trop de tous leurs moyens d’initiative et d’influence pour amoindrir les secousses et éclairer les ténèbres, où le livre doit agir comme le fait, le fait instruire comme le livre. Ce double enseignement, littéraire ou pratique, idéal ou visible, est la propagande des hommes supérieurs et des honnêtes gens ; la gloire des uns est de l’accomplir par leurs actions et leurs ouvrages ; l’honneur des autres est de le seconder par leur déférence et leurs sympathies.


ARMAND DE PONTMARTIN.