ces opérettes, telles qu’on en a écrit un peu trop depuis quelques années, et dont tout le mérite consiste à faire attendre patiemment le ballet en vogue. Il n’y a là ni beaucoup d’esprit et de gaieté pour rendre supportable l’absence de mélodie, ni le moindre souffle mélodieux pour qu’on pardonne au manque absolu d’originalité, de verve et d’entrain. Un libretto composé sur une donnée des plus vulgaires, et où le spectateur le plus bénévole ne saurait trouver un seul moment à s’attendrir ou à sourire, une musique où n’abondent ni les idées, ni les effets, ni le chant, ni la science, telle est cette nouvelle production de MM. Saint-George et Ad. Adam, qui partagera avec les filles sages et les académies de province l’honneur de faire peu parler d’elle.
En revanche, la rentrée de Mme Fanny Cerrito et de son mari a eu beaucoup d’éclat. On sait que, dans le Violon du Diable, M. Saint-Léon déploie le triple talent de chorégraphe, de danseur et de violoniste. Ce n’est pas sa fauté, assurément, si le Violon du Diable ne réalise pas pour les spectateurs les effets fantastiques des contes d’Hoffmann, et s’il y a dans les allures pacifiques et mondaines de l’Opéra quelque chose qui rend moins effrayante toute cette diablerie. Sans jouer du violon comme Paganini ou Baillot, M. Saint-Léon est un très remarquable virtuose. Quant à sa femme, elle n’a rien perdu de cette danse souple et nerveuse que nous avons applaudie dans la Fille de Marbre et dans la Vivandière. Moins correcte et moins idéale que Carlotta Grisi, Mlle Cerrito est plus attrayante peut-être, parce qu’elle est plus femme ; chez elle, tout le corps participe à l’entraînement et au charme de la danse, et, dans ses évolutions gracieuses ou rapides, on dirait qu’elle obéit à un irrésistible instinct, qu’elle est heureuse d’avance du plaisir qu’elle va causer.
On le voit, les théâtres ont retrouvé depuis quelque temps des vestiges de leur ancienne splendeur. En peu de calme dans les esprits, un peu de repos à la surface, et l’on sent aussitôt renaître ce goût des plaisirs de l’imagination et de l’art qui survit même à la prospérité publique. Seulement, pour que ce goût se ranime, il faut que les théâtres et les livres sachent répondre à de légitimes exigences, qu’ils offrent à la curiosité et à l’attention, moins complaisantes qu’autrefois, des objets plus dignes de les retenir et de les fixer. Toute œuvre qui satisfait à cette condition est encore sûre de son public et de son succès. Ne voyons-nous pas, en dépit des préoccupations et des circonstances difficiles, M. Thiers poursuivre régulièrement la publication de son Histoire du Consulat et de l’Empire, et chaque nouveau volume de ce bel ouvrage exciter le même intérêt chez les lecteurs d’élite ? Le tome neuvième, que vient de publier M. Thiers, est divisé en trois parties : Baylen, Erfurt, Somo-Sierra. Il retrace ce moment, si remarquable et déjà si décisif, où Napoléon se sentit chanceler sous le coup d’un premier revers, et où, maître encore de toute sa puissance, il fut désormais moins assuré de sa fortune. La défaite de Baylen fut la première manifestation de cette justice providentielle, de cette morale des événemens, que le génie retarde quelquefois, mais qu’il n’annule jamais. Le congrès d’Erfurt nous montre l’empereur cherchant à réparer par les prestiges et les fascinations de sa grandeur ce prélude lointain de ses désastres, à éblouir, par une sorte de rayonnement magique, les regards fixés sur son étoile pâlissante, à faire croire à l’Europe que peu importait un lieutenant vaincu à qui pouvait se donner des rois pour courtisans. Enfin, l’épisode de Somo-Sierra,