Régnier. Ces deux inspirations sont excellentes en elles-mêmes, mille fois préférables au faux goût, à l’afféterie glaciale de nos modernes comédies de genre ; mais il importerait de les familiariser, pour ainsi dire, l’une avec l’autre, d’en faire jaillir une poésie sincère, homogène, où le vieux sel gaulois, répandu d’une main discrète, serait chargé d’assaisonner la calme et douce poésie du foyer domestique : jusqu’ici, M. Émile Augier a négligé ce soin, et les a juxtaposées plutôt qu’unies. Souvent, dans son dialogue, un mot cru, un archaïsme à l’allure naïve et même un peu grossière, heurtent l’imagination et l’oreille au moment où elles viennent d’être doucement bercées par la muse des affections honnêtes et pures ; le contraste est blessant, parce que rien n’y prépare, et que ces notes, qui pourraient se combiner, forment dissonance.
C’est par une observation plus attentive, par un contact plus sérieux avec le monde, par des efforts plus persévérans pour atteindre enfin à l’invention, que M. Émile Augier pourra se dépouiller de ce que son talent offre de juvénile et d’incomplet. La comédie, il le sait mieux que personne, est l’œuvre la plus difficile qui puisse tenter l’ambition du poète. Pour arriver à ce but suprême, ce n’est pas assez d’avoir à ses ordres un instrument sonore, prêt à exprimer en accens sympathiques ce que l’ame humaine renferme de sentimens nobles et tendres. Ce qui peut suffire pour l’élégie, pour la poésie intime, n’est qu’une partie de la poésie dramatique. Il y a, dans Gabrielle, des vers d’une exquise fraîcheur, des morceaux vraiment inspirés sur le charme paisible du devoir accompli, sur l’orageuse déception des amours coupables, sur les chastes tendresses des jeunes cœurs, mêlant dans une sorte d’idéal et de sereine perspective les pures images de l’épouse, de la mère et de la sœurs. Même après les belles strophes des Harmonies et des Feuilles d’automne, M. Émile Augier a trouvé des accens nouveaux, des idées charmantes, au sujet des enfans, de ces fleurs de la famille, de ces fêtes du foyer, créatures adorées pour qui l’on se consume, et à qui il suffit, pour ne pas être ingrates, de se bien porter et de vivre heureuses. Pourtant, qu’il y prenne garde, ce langage des cours aimans et des affections pures, qu’il parle si bien, doit être pour le poète dramatique un moyen et non pas un but ; il doit concourir à l’ensemble général, et non former à lui seul un ensemble partiel, étranger aux passions, aux luttes, aux ressorts, aux incidens du drame. Si M. Augier persistait à méconnaître cette vérité, on serait forcé de lui redire que posséder le doigté d’un instrument n’est pas écrire une symphonie.
Quoi qu’il en soit, s’il manque à Gabrielle ce qui en eût rendu le succès plus concluant pour le théâtre et pour l’auteur, ces qualités d’achèvement et d’invention, cette fermeté et cette finesse de touche, qui eussent concouru à embellir le triomphe de la vertu ; si le spectateur, quelque peu sur ses gardes, au lieu de se sentir simplement édifié, éprouve parfois l’envie de taquiner les bonnes intentions du poète, il n’est pas moins honorable pour M. Augier d’avoir su réussir en dehors des excès d’autrefois et en développant des sentimens irréprochables.
Pendant que la Comédie-Française entre dans cette bonne voie, les théâtres lyriques nous rendent aussi ces récréations exquises auxquelles on sait gré de tout ce qu’elles nous rappellent et de tout ce qu’elles nous font oublier. Le Théâtre-Italien a rencontré une veine heureuse en reprenant Matilde di Shabran, opéra de Rossini. Les révolutions musicales, par lesquelles se signale