lutte soit vraiment poétique, pour que l’enseignement en soit décisif et le résultat formel, il faut au moins que la passion existe ; pour qu’il y ait une victoire et une défaite, il faut qu’il y ait une bataille. Le poète n’a droit d’humilier la passion, d’en signaler les périls et les écueils, qu’après lui avoir donné préalablement assez de prestige et d’éclat pour que le spectateur comprenne comment ces ames égarées, mais non grossières, abusées, mais non dépravées, ont pu y trouver tant de séduction et d’attrait. Immolez la passion au devoir, j’y consens ; mais, pour que le sacrifice soit plus digne du dieu, ayez soin au moins de parer la victime.
N’y a-t-il pas d’ailleurs une injustice réelle dans ce partage si inégal, dans la partialité visible de cette main de poète si prodigue pour le devoir, si avare pour la passion ? Si vous voulez convertir, tâchez d’abord que l’on vous croie, et, pour qu’on vous croie, ne dites pas qu’avec ses jours d’orage et d’ennui la passion n’a point ses jours de soleil. Ne forcez pas les ames que vous tenez attentives à votre œuvre - de se souvenir que le temps où elles ont aimé est, en définitive, celui qui leur a laissé la trace la plus radieuse. Non, ce n’est pas ainsi que procèdent les maîtres : pour donner à la leçon toute sa portée, au châtiment tout son éclat, ils accordent à la première phase de la passion, à la phase enchanteresse et fugitive, assez d’enivremens et de délices pour qu’il soit possible d’admettre qu’une imagination ardente n’ait pas cru les payer trop cher au prix de toute une destinée. Ils amènent, par une gradation savante, l’ame fragile et inquiète à se laisser peu à peu approcher, puis atteindre, puis envahir par le souffle mystérieux et brûlant : ils la décrivent se débattant contre cette puissance invisible qui la domine et la subjugue, s’enivrant de sa défaite, trouvant dans l’immolation même de tout ce qu’elle a brisé une inépuisable source de voluptés et d’extases, et ce n’est qu’après cette large part faite aux ardeurs et aux ivresses, que, par une gradation nouvelle, ils font glisser le premier ennui dans ce cœur, le premier pli sur ce front, la première larme dans ces yeux. Ils retracent alors avec une fidélité scrupuleuse le tableau de ces désenchantemens impitoyables qui créent peu à peu la solitude et le vide autour de ces deux cœurs condamnés à s’isoler l’un de l’autre après s’être isolés de tout, à venger, par leurs déchiremens, leurs récriminations et leurs angoisses, les lois qu’ils ont méconnues, à contresigner chaque matin de leur main tremblante l’arrêt public qui les réprouve et les flétrit. Quiconque a lu Adolphe sait comment, avec une pareille donnée, on peut écrire un chef-d’œuvre.
Si le poète est effrayé de cette tâche, s’il craint que la peinture des joies et des fêtes de l’amour coupable dépasse, en séduction et en éclat, celle de ses mécomptes, s’il craint surtout que le lecteur, plus facile à égarer qu’à convaincre, s’arrête plus complaisamment à la faute qu’au châtiment, il doit au moins laisser croire que ces joies ont existé, que ces fêtes ont eu leur moment, et en faire, pour ainsi dire, le prologue de l’austère récit où il déroule la série douloureuse des déceptions et des peines. C’est ce qu’a fait M. Jules Sandeau dans Fernand et dans Richard. Au moment où s’ouvrent ces émouvantes et instructives histoires, la période fatale a commencé ; l’adultère en est déjà à la page sinistre où deux amans, long-temps enivrés de passion et d’oubli, voient tout à coup se dresser sur leur chemin le fantôme d’un époux outragé, d’un fils abandonné, d’une famille en deuil, d’un bonheur évanoui, d’un avenir dévasté ; mais