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pressa contre sa poitrine, et demeura quelques instans à la contempler. Au moment de la quitter pour long-temps peut-être, on eût dit qu’il voulait graver plus avant son image dans son souvenir, puiser dans ce baiser d’adieu l’énergie et le courage dont il avait besoin. Laure croyait toucher au bonheur ; Gaston s’enfuit sans trouver la force de lui annoncer son départ.

Restée seule, Laure savoura d’abord avec délices l’émotion enivrante de cette première étreinte amoureuse. Assise à sa fenêtre ouverte, elle s’abîma dans la contemplation du ciel étoilé ; jamais l’air ne lui avait semblé si pur, la brise si parfumée ; la splendeur de la nuit doublait toutes ses facultés. Bientôt le sentiment du bonheur fit place à l’inquiétude. Que voulait dire le trouble de Gaston ? que signifiait cette étreinte convulsive ? Pourquoi Gaston s’était-il enfui après l’avoir serrée dans ses bras ? L’amour est prompt à s’alarmer ; cette jeune femme, qui, naguère indifférente, voyait son mari sortir sans se demander où il allait, qui n’attendait jamais son retour pour l’interroger sur l’emploi de sa journée, se rappelait maintenant avec une effrayante précision toutes les paroles qu’il avait prononcées depuis son arrivée à La Rochelandier. L’attitude de Gaston, son air distrait, ses réponses évasives toutes les fois qu’il s’agissait de l’avenir, tout lui disait qu’il avait formé en secret quelque projet auquel il ne voulait pas l’associer. Son imagination s’exaltait dans le silence et la solitude. Elle était là depuis deux heures, et ne songeait pas encore à fermer sa fenêtre ; en promenant son regard sur le parc, elle aperçut la lumière de la chambre de Gaston, qui se projetait sur la pelouse. Gaston veillait donc aussi. Cette veille prolongée qui, en toute autre circonstance, ne l’eût pas un seul instant préoccupée, mit le comble à son anxiété. Emportée par une inspiration irrésistible, elle courut à la chambre de son mari.

Gaston venait d’achever ses préparatifs de départ et se disposait à écrire à sa mère et à sa femme, quand Laure entra, pâle, tremblante, les cheveux dénoués. D’un regard, elle devina tout.

— Vous partez, dit-elle d’une voix ardente.

Et comme Gaston hésitait à répondre :

— Vous partez seul, vous partez sans moi ; vous ne daignez pas me confier vos projets. Je comprends trop bien que rien ne vous retient ici. Pourquoi resteriez-vous près de moi ? Vous ne m’aimez pas, je le sais bien, je ne viens pas vous reprocher votre indifférence ; mais je suis votre femme, ne puis-je vous demander ce que vous comptez faire ? Ne me direz-vous pas où vous allez ?

Gaston prit les mains de sa femme, et l’attirant sur ses genoux :

— Écoute, mon enfant : j’ai mal vécu, j’ai dépensé dans l’oisiveté les plus belles années de ma jeunesse. Je sens maintenant toute l’étendue de ma faute ; le temps est venu de la réparer. L’éducation que