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qui, en se mariant, n’avait rêvé que les fêtes de la cour, qui, en perdant sa chimère, s’était crue menacée d’un ennui sans remède et sans fin, s’apercevait avec surprise que les joies de la vanité ne sont pas les seules joies de ce monde. Sa vanité, ne sachant plus où se prendre, était morte, faute d’aliment. On se rappelle que Mlle Levrault avait étudié avec succès la peinture et la musique. Établie dans une chambre que Gaston avait décorée avec une élégante simplicité, elle reprit ses études ; les talens qu’elle avait négligés au milieu des distractions de sa vie opulente consolaient, égayaient sa solitude et sa pauvreté. Le printemps renaissait ; Laure l’accueillit avec un bonheur inespéré. Un jour, on s’en souvient peut-être, quelques semaines après son arrivée à la Trélade, le jour même où elle avait rencontré Gaston pour la première fois, les champs et les bois s’étaient révélés vaguement à sa jeune imagination, mais ce poétique sentiment n’avait pas résisté aux préoccupations toutes mondaines qui l’agitaient alors ; en présence du même spectacle, son émotion fut, cette fois, plus durable, plus profonde, et la révélation s’acheva. Gaston, qui aimait les poètes, avait réuni dans la chambre de sa femme un petit nombre de livres choisis avec goût, et Laure retrouvait avec un secret orgueil, dans ces livres enivrans, l’expression pure et précise de ses rêveries et de ses pensées. De jour en jour, son intelligence s’élevait, son cœur s’ouvrait à des sentimens plus tendres. Les poètes lui expliquaient la nature, et la nature, à son tour, lui enseignait à mieux comprendre les poètes.

Un soir, elle était assise au piano, Gaston se promenait dans le parc ; les derniers rayons du soleil filtraient à travers la ramée. Après avoir préludé pendant quelques instans, elle se mit à jouer une des plus charmantes compositions de Louis Lacombe, le Soir, idylle gracieuse qui raconte avec une merveilleuse précision, avec une exquise délicatesse, toutes les rumeurs, tous les bourdonnemens, tous les murmures de la plaine à la fin de la journée ; poème champêtre où l’on entend le bêlement des troupeaux ramenés à la bergerie, le chant des pâtres, le tintement de l’Angelus, tous ces bruits confus qui s’élèvent à la nuit tombante, comme une prière de la terre au ciel. Gaston était venu s’accouder sur la fenêtre. Les doigts de Laure semblaient à peine effleurer le clavier ; la brise soulevait les boucles de ses cheveux ; son cou s’inclinait mollement comme le cou d’un cygne. Gaston la contemplait avec surprise, comme s’il l’eût aperçue pour la première fois. En ce moment, en effet, Laure était pour lui une femme toute nouvelle. Émue, attendrie, pénétrée à son insu d’un sentiment religieux, elle commença d’une voix claire et vibrante un psaume de Marcello. Sa voix, autrefois gâtée par la mignardise et l’afféterie, s’échappait pure et limpide, et rendait avec une simplicité puissante la divine mélodie de ce maître inspiré. Quand elle eut fini de chanter, Gaston s’éloigna