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en France, est un mois sanglant. Cette guerre civile en plein champ avait un aspect en même temps plus grand et moins désolé que nos combats entre des murailles. Au-dessus de l’espace embrasé où se croisaient les balles, le ciel déployait ses vastes et transparentes solitudes, qui, à cette heure même peut-être, allaient devenir l’asile de plus d’une ame de héros. Ce cor qui, à une autre époque, aurait eu, comme la trompe de Roland, les honneurs d’une légende, cet instrument des temps passés en étrange harmonie avec les ames qu’il exaltait, envoyait, à travers les coups de feu, aux échos des forêts ses notes vaillantes, et sonnait sans relâche, jetant dans le cœur des assaillans, par ses accords plus stridens et aussi obstinés que la fusillade, une sorte de malaise superstitieux.

On sait comment succomba la Pénissière. Le feu fut mis à une grange qui atterrait au château. Quand les assiégeans virent s’abîmer au milieu des flammes l’édifice délabré dont une poignée d’hommes avaient fait une forteresse invincible, ils s’éloignèrent. Deux murs, en se rejoignant ; formèrent un abri où les défenseurs de la Pénissière échappèrent à l’incendie, et, lorsque le silence fut rétabli dans la campagne, plus de quarante combattans sortirent de ces décombres. Parmi ceux qui retournaient ainsi à la vie après avoir subi les plus terribles embrassemens de la mort était Robert de Vibraye.

Quand cette procession de revenans eut fait quelques pas, elle s’arrêta. Un même avis fut émis par tous les membres de la petite troupe on décida qu’il fallait se séparer. La cause de la légitimité était perdue. La défense héroïque et l’incendie de la Pénissière étaient le funeste et glorieux dénoûment de la dernière guerre de la Vendée. Maintenant chacun des intrépides combattans qui venaient de donner au drapeau blanc une noble sépulture n’avait plus qu’à songer à sa sûreté. Plus d’un de ces vaillans soldats était gravement blessé. Robert avait une côte brisée par une balle. L’étroite veste de chasse dans laquelle était serrée sa taille retenait seule le sang qui s’échappait de sa blessure. Toutefois il ne voulut être accompagné par aucun de ses frères d’armes, et, s’appuyant sur un fusil, il se mit seul en quête d’un asile. Tout près de la Pénissière est un château appelé Saint-Nazaire, qui appartient au duc de Tessé. Ce fut vers ce château que se traîna Robert. Il arriva presque défaillant à la grille. Les gens qui vinrent lui ouvrir recueillirent un corps inanimé entre leurs bras. En ce moment, le salon du château était tout resplendissant de lumière. La belle duchesse de Tessé était venue promener dans cette pauvre Vendée toute saignante les élégances et les caprices de sa vie oisive et agitée.