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vous qui conspirez contre elle ! C’est vous, pygmée, vous, mirmidon, qui voulez la renverser !

— Moi ! dit enfin M. Levrault, plus rouge que la crête d’un coq ; si quelqu’un ici dénigre la république, ce n’est pas moi, c’est madame.

— C’est vous, s’écria vivement la marquise, vous qui, après avoir rampé, après vous être mis à plat ventre devant le régime nouveau, vous vengez maintenant, par de misérables quolibets, de la peur qui vous avait converti.

— Osez-vous bien m’accuser ? repartit M. Levrault hors de lui ; osez-vous bien me prêter vos rancunes et votre haine ? Heureusement, mes opinions sont connues, et les vôtres, madame, ne sont un mystère pour personne. J’ai toujours aimé la république, et vous l’avez toujours détestée.

— Je ne l’ai jamais aimée, j’en conviens, reprit la marquise, mais je l’ai acceptée avec résignation ; je me suis inclinée devant la volonté de la France. La haute intelligence de M. le commissaire-général, aidée de son noble cœur, comprendra sans peine tout ce que je dois de ménagement et d’égards aux traditions de ma famille. Je n’ai jamais aimé la république, mais je la respecte, je n’ai contre elle ni haine ni amertume ; je ne clabaude pas comme vous.

— Vous l’entendez, citoyen Levrault, dit Jolibois d’un ton sévère, il ne s’agit pas ici du rapport d’un agent plus ou moins fidèle ; c’est un membre de votre famille qui vous accuse, c’est la mère de votre gendre. Malgré la tendre amitié qui nous unit, il ne m’est pas permis de différer plus longtemps l’accomplissement de mon devoir : suivez-moi.

— Vous suivre ! Où me conduisez-vous ? demanda M. Levrault se soutenant à peine.

— En prison, répondit Jolibois.

— En prison ! s’écria M. Levrault pâle d’épouvante.

Il fit un mouvement pour s’enfuir, mais déjà le brigadier de gendarmerie lui appliquait sur l’épaule sa large main gantée de peau de daim. Un imperceptible sourire plissa la lèvre de l’enragée marquise. Maître Jolibois donna le signal du départ et emmena l’infortuné Levrault, qui prit place à côté de lui dans le fond de sa voiture. Le brigadier sauta en selle, et la voiture partit. Après avoir joui quelques jnstans de la terreur de son prisonnier, Jolibois rompit enfin le silence.

— Pourquoi tremblez-vous, mon cher ? Que diable ! un homme ne doit pas ainsi se laisser abattre. Que craignez-vous ? Votre faute est grave sans doute, vous serez jugé, mais la république est clémente, et la peine de mort est abolie pour les délits politiques. Le pire qui puisse vous arriver, c’est d’être condamné à la déportation.

— La déportation ! balbutia M. Levrault ; mais je suis innocent, il n’y a pas un mot de vrai dans les inculpations de cette abominable marquise. Vous me connaissez, mon bon Jolibois.