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et, pour ainsi dire, organique, ne soit devenu pour bien long-temps la condition normale de la nouvelle société française. Et voilà pourquoi dans ce pays, où nous voyons, depuis soixante ans, se réaliser cette combinaison d’un état révolutionnaire par principe, traînant à la remorque une société qui n’est que révolutionnée, le gouvernement, le pouvoir, qui tient nécessairement des deux sans parvenir à les concilier, s’y trouve fatalement condamné à une position fausse, précaire, entourée de périls et frappée d’impuissance. Aussi avons-nous vu que, depuis cette époque, tous les gouvernemens en France, moins un, celui de la convention pendant la terreur, quelle que fût la diversité de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci de commun : c’est que tous, sans excepter même celui du lendemain de février, ils ont subi la révolution bien plus qu’ils ne l’ont représentée. Et il n’en pouvait être autrement, car ce n’est qu’à la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Il est vrai d’ajouter que, jusqu’à présent au moins, ils ont tous péri à la tâche.

Comment donc un pouvoir ainsi. fait, aussi peu sûr de son droit, d’une nature aussi indécise, aurait-il eu quelque chance de succès en intervenant dans une question telle que la question romaine ? En se présentant comme médiateur ou comme arbitre entre la révolution et le pape, il ne pouvait guère espérer de concilier ce qui est inconciliable par nature ; d’autre part, il ne pouvait donner gain de cause à l’une des parties adverses sans se blesser lui-même, sans renier, pour ainsi dire, une moitié de lui-même. Ce qu’il pouvait donc obtenir par cette intervention à double tranchant, quelque émoussée que fût la lame, c’était d’embrouiller encore davantage ce qui était déjà inextricable, d’envenimer la plaie en l’irritant, et c’est à quoi il a parfaitement réussi.

Maintenant, quelle est au vrai la situation du pape vis-à-vis de ses sujets ? Quel est le sort probable réservé aux nouvelles institutions qu’il vient de leur accorder ? Ici malheureusement les plus tristes prévisions sont seules de droit, c’est le doute qui ne l’est pas.

La situation ? c’est l’ancien état de choses, celui antérieur au règne actuel, celui qui dès-lors croulait déjà sous le poids de son impossibilité, mais démesurément aggravé par tout ce qui est arrivé depuis : au moral, par d’immenses déceptions et d’immenses trahisons ; au matériel, par toutes les ruines accumulées.

On connaît ce cercle vicieux où, depuis quarante ans, nous avons vu rouler et se débattre tant de peuples et tant de gouvernemens : des gouvernés n’acceptant les concessions du pouvoir que comme un faible à-compte payé à contre-cœur par un débiteur de mauvaise foi ; des gouvernemens qui ne voyaient dans les demandes qu’on leur adressait