Rome. Arrivée jusqu’à nos jours, le principe révolutionnaire ne pouvait guère manquer de l’accueillir et de se l’approprier à cause de la pensée anti-chrétienne qui était en elle. Maintenant, ce parti vient d’être abattu, et l’autorité du pape en apparence restaurée ; mais si quelque chose, il faut en convenir, pouvait encore grossir le trésor de fatalités que cette question romaine renferme, c’était de voir ce double résultat obtenu par une intervention de la France.
Le lieu commun de l’opinion courante au sujet de cette intervention, c’est de n’y voir, comme on le fait assez généralement, qu’un coup de tête ou une maladresse du gouvernement français. Ce qu’il y a de vrai à dire à ce sujet, c’est que si le gouvernement français, en s’engageant dans cette question insoluble en elle-même, s’est dissimulé qu’elle était plus insoluble pour lui que pour tout autre, cela prouverait seulement de sa part lune complète inintelligence, tant de sa propre position que de celle de la France… ce qui d’ailleurs est fort possible, nous en convenons. En général, on s’est trop habitué en Europe, dans ces derniers temps, à résumer l’appréciation que l’on fait des actes ou plutôt des velléités d’action de la politique française par une phrase devenue proverbiale : « La France ne sait ce qu’elle veut. » Cela peut être vrai ; mais, pour être parfaitement juste, on devrait ajouter : « La France ne peut pas savoir ce qu’elle veut ; » car, pour réussir à le savoir, il faut avant tout avoir une volonté, et la France, depuis soixante ans, est condamnée à en avoir deux. Et ici il ne s’agit pas de ce désaccord, de cette divergence d’opinions, politiques ou autres, qui se rencontrent dans tous les pays où la société, par la fatalité des circonstances, se trouve livrée au gouvernement des partis : il s’agit d’un fait bien autrement grave ; il s’agit d’un antagonisme permanent, essentiel et à tout jamais insoluble, qui, depuis soixante ans, constitue, pour ainsi dire, le fond même de la conscience nationale en France. C’est l’ame de la France qui est divisée.
La révolution, depuis qu’elle s’est emparée de ce pays, a bien pu le bouleverser, le modifier, l’altérer profondément ; mais elle n’a pu ni ne pourra jamais se l’assimiler entièrement. Elle aura beau faire, il y a des élémens, des principes dans la vie morale de la France qui résisteront toujours, au moins aussi long-temps qu’il y aura une France au monde : tels sont l’église catholique avec ses croyances et son enseignement, le mariage chrétien et la famille, et même la propriété. D’autre part, comme il est à prévoir que la révolution, qui est entrée non-seulement dans le sang, mais même dans l’ame de cette société, ne se décidera jamais à lâcher prise volontairement, et comme, dans l’histoire du monde, nous ne connaissons pas une formule d’exorcisme applicable à une nation tout entière, il est fort à craindre que l’état de lutte, mais d’une lutte intime et incessante, de scission permanente