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la primauté universelle et ressaisir pour la troisième fois le sceptre du monde, c’est-à-dire qu’au moment où l’établissement papal était secoué jusque dans ses fondemens, ils proposaient sérieusement au pape de renchérir encore sur les données du moyen-âge, et lui offraient quelque chose comme un califat chrétien, à la condition, bien entendu, que cette théocratie nouvelle s’exercerait avant tout dans l’intérêt de la nationalité italienne.

On ne saurait, en vérité, assez s’émerveiller de cette tendance vers le chimérique et l’impossible qui domine les esprits de nos jours, et qui est un des traits distinctifs de l’époque. Il faut qu’il y ait une affinité réelle entre l’utopie et la révolution, car, chaque fois que la révolution, un moment infidèle à ses habitudes, veut créer au lieu de détruire, elle tombe infailliblement dans l’utopie. Il est juste de dire que celle à laquelle nous venons de faire allusion est encore une des plus inoffensives.

Enfin vint un moment, dans la situation donnée, où, l’équivoque n’étant plus possible, la papauté, pour ressaisir son droit, se vit obligée de rompre en visière aux prétendus amis du pape. C’est alors que la révolution jeta à son tour le masque et apparut au monde sous les traits de la république romaine. Quant à ce parti, on le connaît maintenant ; on l’a vu à l’œuvre. C’était le véritable, le légitime représentant de la révolution en Italie. Ce parti-là considère la papauté comme son ennemie personnelle à cause de l’élément chrétien qu’il découvre en elle. Aussi n’en veut-il à aucun prix, pas même pour l’exploiter ; il voudrait tout bonnement la supprimer, et c’est par un motif semblable qu’il voudrait aussi supprimer tout le passé de l’Italie, toutes les conditions historiques de son existence, comme entachées et infectées de catholicisme, se réservant de rattacher, par une pure abstraction révolutionnaire, l’existence du régime qu’il prétend fonder aux antécédens républicains de la Rome antique.

Eh bien ! ce qu’il y a de particulier dans cette brutale utopie, c’est que, quel que soit le caractère profondément anti-historique dont elle est empreintes elle aussi a sa tradition bien connue dans l’histoire de la civilisation italienne. Elle n’est, après tout, que la réminiscence classique de l’ancien monde païen, de la civilisation païenne : tradition qui a joué un grand rôle dans l’histoire de l’Italie, qui s’est perpétuée à travers tout le passé de ce pays, qui a eu ses représentans, ses héros et même ses martyrs, et qui, non contente de dominer presque exclusivement ses arts et sa littérature, a tenté, à plusieurs reprises, de se constituer politiquement, pour s’emparer de la société tout entière. Et, chose remarquable, chaque fois que cette tradition, cette tendance a essayé de renaître, elle est toujours apparue à la manière des revenans, invariablement attachée à la même localité, à celle de