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portée incalculable dans ses conséquences pour les intérêts du christianisme, n’est pas, tant s’en faut, un fait particulier à la société de Jésus. Cette erreur, cette tendance lui est si bien commune avec l’église romaine elle-même, que l’on pourrait à bon droit dire que c’est elle qui les rattache l’une à l’autre par une affinité vraiment organique, par un véritable lien du sang. C’est cette communauté, cette identité de tendances qui fait de l’institut des jésuites l’expression concentrée, mais littéralement fidèle du catholicisme romain, qui fait, pour tout dire, que c’est le catholicisme romain lui-même, mais à l’état d’action, à l’état militant. Et voilà pourquoi cet ordre, ballotté d’âge en âge à travers les persécutions et le triomphe, l’outrage et l’apothéose, n’a jamais trouvé ni ne saurait trouver en Occident des convictions religieuses suffisamment désintéressées dans sa cause pour pouvoir l’apprécier, ni une autorité religieuse compétente pour le juger. Une fraction de la société occidentale, celle qui a résolûment rompu avec le principe chrétien, ne s’attaque aux jésuites que pour pouvoir, à couvert de leur impopularité, mieux assurer les coups qu’elle adresse à son véritable ennemi. Quant à ceux des catholiques restés fidèles à Rome qui se sont faits les adversaires de cet ordre, bien que, individuellement parlant, ils puissent, comme chrétiens, être dans le vrai, toutefois, comme catholiques romains, ils sont sans armes contre lui ; car, en l’attaquant, ils s’exposeraient toujours au danger de blesser l’église romaine elle-même.

Mais ce n’est pas seulement contre les jésuites, cette force vive du catholicisme, qu’on a cherché à exploiter la popularité moitié factice, moitié sincère, dont on avait enveloppé le pape Pie IX. Un autre parti comptait encore sur lui, une autre mission lui était réservée. Les partisans de l’indépendance nationale espéraient que, sécularisant tout-à-fait la papauté au profit de leur cause, celui qui avant tout est prêtre consentirait à se faire le gonfalonier de la liberté italienne. C’est ainsi que les deux sentimens les plus vivaces et les plus impérieux de l’Italie contemporaine, l’antipathie pour la domination séculière du clergé et la haine traditionnelle de l’étranger, du barbare, de l’Allemand, revendiquaient tous deux au profit de leur cause la coopération du pape. Tout le monde le glorifiait, le déifiait même, mais à la condition qu’il se ferait le serviteur de tout le monde, et cela dans un sens qui n’était nullement celui de l’humilité chrétienne. Parmi les opinions ou les influences politiques qui venaient ainsi briguer son patronage en lui offrant leur concours, il y en avait une qui avait jeté précédemment quelque éclat, parce qu’elle avait eu pour interprètes et pour apôtres quelques hommes d’un talent littéraire peu commun. À en croire les doctrines naïvement ambitieuses de ces théoriciens politiques, l’Italie contemporaine allait, sous les auspices du pontificat romain, récupérer